Est-ce que tu fais chanter Nashar ?
Non.
Favaro posa sa tasse de thé encore brûlante et se leva du confortable fauteuil dans lequel il s’était assis quelques minutes auparavant. Avait-il fait une erreur en venant ici ?
Eh bien adios.
En se dirigeant vers la sortie du salon, l’Akers fut stoppé net par l’intervention de son interlocutrice.
Ara ara ~. Tu vas gâcher le thé que Ma’Martha t’a fait ? Elle semblait si heureuse de te le faire.
Dommage que tu l’as envoyé faire des courses avant que j’arrive d’ailleurs. Elle aurait été encore plus heureuse en me voyant.
C’est pour cela que tu devrais passer plus souvent. Et puis, que veux-tu, il faut la tenir occupée : son rôle de nourrice n’a plus lieu d’être maintenant que nous sommes adultes… Enfin, que l’un de nous l’est, en tout cas.
Favaro se retourna pour confronter cette insulte à peine voilée.
Tu me retiens pour m'insulter ? Si tu tiens tant que cela à imiter mon père, tu devrais plutôt tout faire pour me tenir éloigné. Maintenant, dépêche-toi de me dire la raison de ta visite au Demon’s Empire. Cela devait être sacrément important pour que tu daignes poser tes pieds sur les pavés des Sapphire’s ?
Oh oh, je n’essaie pas d’imiter père, si tu me permets de l’appeler, ains-...
Tu peux nommer un serpent comme tu veux, son poison te tuera tout autant. Viens-en aux faits.
Oh ? Te voilà bien impatient. Il fut un temps où nous discutions des heures, tels un grand frère et sa petite protégée.
Les choses changent, et tu en es l’exemple parfait.
Le roux alla s'asseoir lentement. Il prit la tasse de thé fumante et la vida d’un bon quart d’une seule traite.
Toujours affreux au goût ?
Toujours affreux au goût.
Il faudra lui dire un jour.
Ça la tuerait sûrement.
Un lourd silence s’installa alors. Favaro en profita pour observer la pièce dans laquelle il se trouvait. Il n’était jamais venu ici auparavant, c’était une acquisition récente de sa famille. Néanmoins, l’Akers reconnaissait les goûts horribles du décorateur d’intérieur de sa cousine. Tout paraissait faux, même si les diamants des lustres et des ornements étaient tous ce qu’il y avait de plus vrai.
J’ai essayé de reproduire le salon de la maison principale, puis je me suis dit qu’un peu de nouveauté ne ferait pas de mal à la famille. Tu ne crois pas ?
Ce que je pense sur la familia n’a aucune importance, Selia. Encore plus maintenant.
Le regard d’une sombritude sans égale, Favaro guetta assidûment les réactions et microréactions de sa cousine. Elle n’avait jamais été très stoïque et cette simple phrase avait réussi à extirper tout ce dont le roux avait besoin de savoir.
Tu l’as finalement appris, alors.
Malgré les efforts de mon père pour me le cacher, je reste un Leone : si je veux une information, je l’obtiens, même si je n’ai pas les détails. Tu étais venu m’en parler, au Demon’s Empire ?
Un autre moment de silence suivit, sans que Favaro ne décroche ses yeux de ceux de Selia.
Je m’étais dit que même toi tu devais le savoir. Ce n’est pas tous les jours que les termes du sort de succession de la famille changent.
Le roux sourit intérieurement. Avant que sa cousine ne le confirme, il n’avait que des doutes sur la modification du Sigillum Successionem. Sa confiance apparente n’avait fait que tendre un piège à la jeune demoiselle. C’était quelque chose qu’il avait évidemment appris et perfectionné en côtoyant Nashar, qui parvenait à négocier des prix en invoquant des tarifs réduits imaginaires chez des concurrents tout aussi imaginaires.
Alors ? Tu ne m’en demandes pas plus ?
L’Akers leva un sourcil.
Il n’y a que père qui peut changer le sort du Sigillum Successionem. S’il l’a fait, cela veut dire que les nouvelles règles m’écartent totalement de la course. De même, cela ne m’étonnerait pas qu’il ait expressément demandé aux membres de notre chère famille de ne pas m’en parler, sous peine d’être disqualifié. Cela t’inclus donc toi aussi, vu que tu es sa grande favorite. Donc, pas la peine de nous ennuyer avec cette étape inutile : nous savons tous les deux que tu ne me diras rien.
Selia lui adressa un sourire mêlé à de l’étonnement et de l’émerveillement.
Ces rustres de l’espace devaient avoir une technologie incroyable pour te permettre de réfléchir aussi bien.
Favaro sourit gentiment.
HOPE a tout ce qu’il manque à la famille.
Les deux Leone burent une gorgée de leur tasse de thé, maintenant tiède.
Des promesses d’aventures farfelues ?
L’égalité des chances.
Et c’est le fils de Don Leone qui dit cela ?
Ta phrase suppose que mon statut m’a donné des ventajas. Tu es bien placé pour savoir que ce n’est pas le cas.
Des…Ven-Quoi ?
Le roux soupira.
Problème de traducteur de HOPE, je me le suis fait implanter et il bug. Des avantages.
Ah… Bien sûr que non. En tant que cousine, j’avais plus de liberté que toi. Feue ma mère pensait que c’était à cause de cela que j’étais la plus à même de diriger la famille. Mon éducation fut souple et surtout, efficace.
Feue ta mère se droguait.
Mais elle avait du nez.
Les deux akers gloussèrent vivement.
Désolé, j’irai lui déposer une rose sur sa tombe pour me faire pardonner.
J’irai la lui retirer après, aucune rose ne veut flétrir près d’elle.
Un autre épais silence envahit la pièce. Un silence différent des précédents, car teintés de tristesse.
Favaro… Je suis désolé.
Et pourquoi donc ? Je ne m’étais jamais fait d’illusion sur la succession. J’en suis même soulagé qu’il ait abandonné son projet de me faire tuer accidentellement. Maintenant nous allons pouvoir vivre chacun nos vies.
Ce n’est pas obligatoire. Une fois cheffe, je pourrais te faire des excuses au nom de la famille et tu pourr-
Quoi ? Reprendre tes affaires ? Passer ma vie à négocier des contrats ? À assister à des repas où les participants sont plus gras que la friture servie ? Très peu pour moi. Tant mieux si tu t’y vois déjà, mais s’il te plait, ne me mêles plus aux affaires des Leone une fois que tu y seras.
Une autre prise de thé commune amena un nouveau blanc, jusqu’à ce que ce Favaro demande :
Et du coup. Pourquoi père veut soudainement changer son testament ? Il est vieux, mais il a encore de quoi tenir un bon siècle.
Justement… Je voulais surtout te parler de ça quand je suis venu au Demon’s Empire. Rien d’officiel, mais… Quelqu’un chercherait à le tuer, depuis peu. C’est le bruit qui court dans le milieu, en tout cas. Il ne sort plus que le soir ou tôt le matin pour éviter les foules et il est toujours accompagné de garde du corps et d’urgentiste.
En somme, c’est comme quand il vient de signer un contrat au désavantage d’une autre grande famille. Il craint les attaques adverses depuis le meurtre de grand-père. Rien d’alarmant.
Non… C’est différent. Il a renoncé à sa carrière politique. L’annonce sera rendue publique d’ici quelques jours.
…
Je doute que sa vie soit plus en danger qu’à un autre moment, mais je pense que quelqu’un cherche à lui nuire… Et que ce quelqu’un a les moyens de le faire. J’ai l’impression qu’il se prépare à fuir.
Du chantage.
C’est ce que la famille pense. Évidemment, il n’en dira rien. Je voulais te prévenir ; d’un point de vue externe, le meilleur moyen de l’atteindre c’est à travers toi. Tu es son fils unique après tout. Le public ne sachant rien du Sigillum Successionem, tu es l’héritier des Leone à leurs yeux. Fais attention à toi, cousin. Celui qui fait chanter ton ami pourrait bien faire pire, si les deux affaires sont liées.
Favaro termina sa tasse, avant de se lever.
Merci. J’aime à voir que derrière tout ce maquillage te faisant ressembler à père, tu restes ma petite Selia.
Le roux s’approcha d’elle puis s’agenouilla. Délicatement, il lui prit la main droite, où une énorme bague enveloppée un de ses doigts. Il y déposa doucement ses lèvres. C’était normal ; on honorait le Chef de la famille Leone de cette façon, depuis des générations. Ce qui ne l’était pas en revanche, c’était le regard, presque Nasharien, qu’il lui porta par la suite.