Beaucoup disent que la vie est trop brève. Pour certains, elle semble si courte qu’il serait absurde de se laisser aller à flâner, et l’on devrait toujours s’agiter pour en puiser le maximum. Pour d’autres en revanche, elle semble trop éphémère pour se soucier des choses, et il semble plus délicieux d’en profiter en optant pour une attitude plus laxiste. À la question alors de savoir si ma vie me paraissait véritablement si infime, j’aurais aimé penser plutôt le contraire, car en fait, mon existence jusqu’ici me paraissait toujours plus tirer dans la longueur, en bien comme en mal. J’ai ainsi été toujours plutôt dubitatif quant à savoir si je devais me délaisser à l’oisiveté ou conserver une plus grande rigueur à la tâche, mais si la raison et la logique n’avaient aujourd’hui pas fini de débattre, le problème avait perdu de son importance.Je n’avais pas de temps libre, pas depuis les derniers jours, et pourtant, j’eus choisi de m’en créer, et ce, sans trop de l’impulsion d’une personne extérieure. L’on m’avait, certes, promptement incité à me rendre en des lieux convenus pour diverses formalités, mais c’était comme si un instinct, quelque chose qui allait et venait, et s’était un peu plus installé depuis cette soirée au
Devil’s Empire, m’avait guidé et poussé, au point où, pour un jour au moins et tout entier, j’avais décidé de ne plus avoir de quelconques comptes à rendre. J’en étais même presque au point d’en rejeter mon nom pour ces instants seulement.
Pour une fois, je m’étais alors risqué à laisser volontairement
Kalli choisir notre destination d’errance, sans ordre particulier pour l’inciter dans ses idées, sans même le moindre regard accusateur lorsque je l’entendais énumérer des lieux plus farfelus les uns que les autres, certains peut-être sortant plus de son imagination que de la carte qu’elle dévisageait en parlant tout ce fouillis qui hantait son esprit. Puis, très soudainement, il n’y avait plus aucun doute, et la destination était choisie. À ma question quant à savoir où nous gâcherions le temps de cette journée, je n’obtins alors aucune réponse, et dû me contenter de suivre ma guide qui était si confiante qu’elle n’en prenait pas même la peine de ne serait-ce que jeter un simple et vague coup d’œil à sa carte. J’en attendais alors le pire.
Nous parcourûmes de nombreuses rues, traversâmes maintes foules, non sans se laisser distraire par quelques évènements généralement sans grand intérêt, comme le passage d’un petit animal de compagnie aux couleurs tape-à-l’œil qui plaisait bien à ma compagnonne de route, ou encore un spectacle de rue qui traînait par hasard dans les parages. Mais au fond, cela n’importait pas, pas aujourd’hui, aussi finissais-je par finalement offrir un peu de mon attention à ces petites péripéties qui, bien qu’elles n’étaient pas du genre à soulever des mystères, avaient ma foi leur charme pour distraire ceux qui n’avaient rien d’autre à faire.
Finalement, mes présomptions précédentes furent accueillies de justesse, lorsqu’au bout d’une trop longue matinée de déplacement, nous dûmes nous rendre à l’évidence, nous n’avions pas atteint notre destination. Au fond, je n’en savais alors rien factuellement, mais en observant la mine frustrée de
Kalli, je ne pouvais qu’aisément le déduire, et ce n’est pas comme si l’hypothèse pouvait d’une manière ou d’une autre sembler improbable. J’accusais alors la guide de mes conclusions, non sans ponctuer mes dires d’un air plus taquin que sévère.
- Je ne sais pas où tu voulais nous guider, mais je sais au moins que nous n’y sommes pas arrivés.
Elle se tourna alors vers moi, et fit un sourire fier alors qu’elle savait parfaitement quoi répondre, comme si elle y avait pensé pendant plusieurs heures juste avant.
- Si l’on n’a pas de destination en premier lieu, on y arrive peu importe où l’on va !
J’acquiesçais alors en haussant les épaules, car, après tout, elle n’avait pas véritablement tort, et je ne voyais pas vraiment quoi lui rétorquer. Au lieu de cela, je me disais qu’après autant de temps passé à vadrouiller, nous pourrions sûrement cesser d’errer pour se poser un instant quelque part, mais où alors ? Constatant que
Kalli n’était pas entièrement satisfaite de notre point d’arrêt et s’était enfin replongée dans sa carte, j’en profitais donc pour observer un peu plus les environs. De la bourgade à perte de vue, une école au coin de la rue, et en soi, peu qui sorte de l’ordinaire de nos déambulations. Seulement, comme une bouffée d’air au milieu du spectacle de béton, il y avait bien un parc naturel, que l’on remarquait sans peine de part les touffes de verdures qui semblaient vouloir s’échapper au milieu des bâtisses.
Je ne pris alors pas la peine de demander son avis à celle qui peinait à se retrouver sur ce plan qu’elle devait à peine comprendre, et me dirigeais simplement vers ces bois enfermés que j’avais repéré. J’avais bien envie d’un peu de changement, et, si ce n’étaient pas les vastes étendues sauvages que je connaissais à mon monde, c’était déjà plus frais que le désert urbain que formait la ville. Suivi alors, par celle qui m’emboîtait le pas en comprenant que, pour un moment au moins, elle n’allait pas mener la marche où elle le souhaite, je passais alors le portique grand ouvert pour rentrer dans ces étendues d’un vert agréable.
Il était réconfortant de sentir mes bottes fouler autre chose que des trottoirs, lorsque je pouvais ainsi parcourir l’herbe du parc sous l’ombre des arbres qui étaient déjà là bien avant moi. Ils n’avaient pas une présence trop étouffante, mais leurs vastes chevelures de feuilles pouvaient sans peine défier les rayons du Soleil de véritablement percer au travers, si bien qu’une petite zone de jour comme une clairière se révéla très vite à moi, une aire d’une taille raisonnable au milieu de laquelle se trouvait un petit lac. Sans y penser alors, je m’étais naturellement dirigé vers l’eau, me penchant légèrement comme pour observer les poissons entre mes reflets sur la surface, avant de remarquer que, depuis quelque temps, j’étais en vérité bien seul. Si j’imaginais difficilement qu’elle aurait pu se blesser en un tel endroit, je me disais bien qu’elle avait véritablement pu se perdre. Haussant la voix, mais sans encore crier, je l’appelais une première fois.
- Kalli ?