Tss, ce qu’elle aimait la ramener. Bien sûr qu’il avait pensé à chercher des Agents ou des notables de HOPE. Il avait juste utilisé le terme “Passenger” par rapidité. Quelle louve pointilleuse ! Malgré le léger agacement que sa correction déclencha, Nashar ne dit rien et continua de l’écouter. Du velours ? Il y pensait justement, aux mots de sa mère. Lui en avait-il déjà parlé ? Peut-être. Après tout, il l’avait remarqué : tout comme Geleerde, les détails de son passé commençaient à s’effacer. Ce n’était pas dû à une magie ou à une volonté. C’était simplement la nature, qui punissait ceux qui devraient être morts depuis bien longtemps.
La suite du discours de la louve empêcha Nashar de se lancer dans un soliloque sur son immortalité. Elle demandait des nouvelles du démon. Allons bon, exactement le sujet qu’il ne voulait pas aborder. Que faire ? L’esquiver une nouvelle fois ? Impossible, l’érudite insisterait. Il pourrait encore s’obstiner à ce moment, mais cela pourrait déboucher en combat, et il ne se sentait pas de taper une femme à pareille heure. Alors, grommelant intérieurement, il révéla.
Notre “ami” en commun a tenu sa promesse. Et je tiendrais la mienne le moment venu.
Évidemment, il éluda le contenu de cette promesse, que lui seul savait. L’Empereur avait des secrets qui ne devaient pas être ébruités, même s’il savait que Geleerde n’en ferait rien.
Moi ? Ramolli ? Tu ne m’as pas vu faire valdinguer ces enfoirés dans le Colisée ?
Ajouta-t-il, d’un ton plus amusé que sa précédente phrase. Il ne releva aucunement du terme vieillard, qui lui sied à ravir. Il ne se souciait guère de son âge, seulement de son apparence. Un jeunot dans la fleur de son existence était plus impressionnant qu’un vieux moisissant sur sa canne. Heureusement, la division lui permettait de boucler sur sa 27ème année à chaque séparation. Très pratique.
Et tu sais bien qu’il n’y a pas plus en forme que moi. Surtout quand il s’agit de te b-
Une sensation. Des énergies. Des voix. Des Val’ka. Tss. Nashar avait beaucoup trop baissé sa garde, se sentant en sécurité. C’était le danger de Geleerde : elle lui faisait perdre le sens des priorités. Cela lui rappela légèrement le moment de sa vie où il hésitait à rester avec elle à Vaylirah.
Évidemment...
Le bleuté se saisit d’un des morceaux de viande qu’il dévora avec un appétit démoniaque. Maintenant qu’il avait l’estomac plein, il était prêt à combattre. Repassant un peu de froid sur sa douleur aux côtes qui se dissipait de plus en plus, il observa les barbares arriver un à un, tout autour d’eux. Il y avait 12 Val’Ka armés, suivis de prêt par une vingtaine d’esclave. La majorité d’entre eux était des natifs, mais 5 avaient une carrure beaucoup trop fine pour être des leurs. Des Passengers, vraisemblablement.
Ah bah tiens, quand on parle du lo-...
L’Empereur jeta
rapide coup d'oeil à Geleerde.
Diable. Quand on parle du diable.
Le Déchu se rendit alors compte que c’était probablement sa légère bourrasque continue de vent portant l’odeur de la nourriture qui les avait menés jusqu’à eux. Pourtant, il était certain de l’avoir assez dissipé le parfum de Drasky. Une erreur ? Il passa rapidement sur ce détail lorsqu’il vit une des jeunes esclaves Passengers s’avancer en courant vers eux. Apeurée, elle ne semblait pas avoir convenablement mangé ou dormi depuis quelques jours. Derrière elle, un Val’Ka la visait avec une flèche. Elle s’arrêta lorsqu’elle fut à deux mètres du couple de combattants.
Vous êtes des Passengers ? Rendez-vous, c’est la tribu des Mor’Ga, ils… Ils mangent ceux qui ne leur obéissent pas… Celui qui a son arme bandée vers moi, c’est leur chef. Il me tuera si vous ne vous soumettez pas docilement… Je vous en supplie, il le fera, et il me mangera après…
Docile ? Les yeux de Nashar glissèrent vers Geleerde, avant de se concentrer sur la situation actuelle. Au moins, ils avaient un avantage : l’adversaire restait immobile. Par contre, pourquoi se méfiaient-ils autant ? Étaient-ils déjà tombés sur des Passengers qui avaient montré les griffes ? Ou même des Agents… Cela expliquerait pourquoi ils n’agissaient pas comme les Val’Ka lambda.
Nous n’allons certainement pas nous rendre...
Le Val’Ka archer se prépara à tirer sa flèche quand le bleuté rajouta :
...En tout cas pas à une raclure qui utilise une arme aussi peu honorable qu’un arc.
Immédiatement, tous les natifs présents, hormis l’archer, laissèrent échapper un “
ooooh” d’étonnement. L’attention se porta aussitôt sur le challengé qui s’avança en baissant son arme. Poussant violemment la Passenger esclave, il regardait Nashar avec une haine que le bleuté n’avait cessé de voir depuis son arrivée à Val.
Et qui es-tu pour juger de l’honneur de mon arme ? Elle qui a tué nombre de Drasky, Dramer et Drafoudre ?
L’Empereur voila son visage d’incompréhension.
Drafoudre ? Avec une arme pareille, c’est plus des draps de foutre que tu pourrais avoir.
La
réactionde la tribu ne se fit pas attendre. Détendu, le Déchu savait pertinemment qu’il venait d’entacher - si le narrateur peut le dire ainsi - l’honneur de son adversaire : aucun autre natif présent n’interviendrait. Ce n'était pas qu’il avait peur de les affronter tous en même - surtout avec Geleerde dans les parages -, mais il se dit que trop d’agitation pouvait être préjudiciable, si proche de Kor. Hors de lui, le Val’Ka s’écria :
Comment oses-tu !? Mon arme a été bénie et acceptée par le Grand Kal’Dnir en personne ! Tu le paieras de ta vie, brindille ! Moi, Mor’Ga Spk te le jure ! Soyez témoin, tous ici présent ! Mon honneur sera lavé par son sang !
Les cris d’encouragement de son clan l’accompagnaient, tandis qu’il bandait son arme vers Nashar. C'est alors que l’aura maléfique du démon rayonna d’un seul coup autour du bleuté. Elle n’était pas visible, mais on pouvait très facilement la ressentir. Les plus faibles esclaves eurent d’ailleurs une perte d’équilibre, tandis que les valeureux guerriers n’eurent que des frissons dans le bas du dos. Malgré tout ce qu’il pouvait se dire pour rationaliser son choix de se battre quand la fuite ou la délégation de la baston à Geleerde étaient de très bonnes alternatives, Nashar se rendit à l’évidence : il suivit les ordres et les envies du démon.