Génial. Du poison paralysant.
— Quelle merde.
Soufflant son insulte en serrant les dents, la vue de l'hybride se troubla. Avec deux têtes pour un corps, cette foutue plante allait bien causer du souci aux agents. Rapide, leur ennemi tenta de charger l'hybride une nouvelle fois. Claquant sa langue d'un geste sec, Geleerde esquiva, tout en profitant de l'occasion pour donner un coup de griffe puissant. Hélas, son second bras devenait étrangement de plus en plus lourd, jusqu'à ce qu'elle n'arrive plus à le ressentir. À son tour, elle fut contrainte de poser un genou à terre.
— J'te préviens, si tu me bouffes, prépare-toi à une sacrée indigestion.
D'un sourire provocateur avant de sombrer dans le néant, l'hybride ne se réveilla que plusieurs minutes - ou peut-être même plusieurs heures - plus tard. Visiblement contrariée qu'on la force à ouvrir les yeux, elle se contenta dans un premier de temps de simplement grogner jusqu'à sentir des bras la soutenir. Ouvrant un œil fatigué, elle surprit Jason lui donnant de l'eau à l'aide de sa gourde. Reprenant des couleurs, elle massa lentement son cuir chevelu en jetant un regard autour d'elle. Allons bon. Où est-ce qu'ils avaient bien pu tomber ?
— Je crois qu'on s'est perdus durant la balade...
— J'avoue que j'ai connu mieux comme promenade~
Reprenant lentement ses esprits, Geleerde hérissa le poil en inspirant : bordel, c'était quoi cette odeur immonde ? Jetant un coup d'œil à ses mains, elle remarqua un étrange liquide poisseux et odorant à souhait. Tel un réflexe, la louve reporta lentement son attention vers Jason, presque en le jugeant du regard. Fort heureusement pour nous, l'indomptable n'eut pas le temps de dire sa pensée - qui semblait apparemment évoquer les principes du consentement commun - qu'elle fut coupé par un bruit sourd derrière elle. Le corps de la jeune femme qu'ils avaient tentée de sauver plus tôt venait de se libérer d'elle-même de la racine qui la maintenait par les pieds. Poussant un cri étouffé à la réception, elle fit de son mieux pour poser son dos contre l'une des parois, tâtonnant ses jambes qui ne répondaient visiblement plus.
— V'là notre demoiselle en détresse.
À ces mots, la blessée releva la tête tout en foudroyant du regard la louve. Apparemment, elle ne semblait pas apprécier qu'on l'appelle de la sorte. Reprenant sa séance de palpation, la demoiselle ferma lourdement les yeux, serrant les poings de colère. D'un ton sec, sa voix commença à résonner dans la grotte :
— Vous avez un couteau ?
Question rhétorique, puisqu'elle fixait lourdement l'arme de Jason à cet instant précis. Pas besoin d'être une flèche pour comprendre la situation : la blessée allait devenir atrophiée par ses propres moyens. Visiblement consciente que ses jambes ne pourraient pas être sauvées, elle espérait probablement stopper le poison pour qu'il n'atteigne pas le reste de son corps. Dans un soupir, Geleerde la dévisagea sans scrupule.
— ça va faire mal avec un canif' pareil, tu sais.
— Sans déconner, capitaine constate.
— Je te le dis, c'est tout. Ça va te prendre un bout de temps. Surtout pour couper les ligaments. La douleur est intenable.
Soudainement hésitante, la jeune femme fronça à nouveau des sourcils pour se reprendre. De son côté, Geleerde prit le couteau de Jason sans lui demander son avis et le lança au pied de la trentenaire. Déchirant un morceau de sa veste déjà en bien sale état pour poser un garrot et récupérant un morceau de bois suffisamment solide pour le mordre, elle ajouta d'un ton déplaisant :
— Tu es vraiment d'un grand réconfort, toi.
Durant plusieurs minutes de réflexion, elle tenta de nombreuses fois de le faire, sans succès. La peur, l'appréhension de la douleur, toutes ses émotions que le cerveau dégage en phase critique pour un seul et unique but : nous protéger. Si elle réfléchissait trop, elle savait que briser les os ne serait pas possible sans soutien. Si elle avait beau détenir des compétences de chirurgienne, il reste malgré tout le fait qu'elle devait maintenant le faire à elle-même et non à quelqu'un d'autre. Quoi de plus normal que d'hésiter pour un humain face à ça ?
* * *
Pendant près d’une heure, avec son coutelas de fortune, elle s’attaque aux dernières attaches naturelles qui relient sa jambe du reste de son corps. Fumante, la cigarette de l'hybride déforme son visage dans un miasme étrange. Passé à un certain stade de douleur, on entre dans une phase qui ressemble plus à ce qu’on appelle de la souffrance : on a mal, mais dans une sorte d’apaisement étrange. C’est sans doute ce qu’elle éprouvera dans ces derniers instants... Si l'indomptable ne lui avait pas lancé nonchalamment :
— Tu foutais quoi ici ?
Le visage transpirant de sueur, tremblante de rage et de douleur, la jeune femme posa un œil en direction de la louve avant de reprendre son affaire, suffoquant dans sa propre salive.
— On va en avoir pour dix piges si tu continues comme ça.
— Ferme. Ta gueule... !
— Yare yare. Jason. Tiens là en joue.
Surprise, la trentenaire n'eut pas le temps de reculer par réflexe. Geleerde, quant à elle, ne vérifiant pas si son partenaire avait suivit sa demande, répliqua d'un ton cinglant :
— Primo. Je ferme ma gueule quand j'en ai envie. Deuxio. J'ai clairement pas confiance en une nana qui ne fait pas partie de notre équipe et qui n'est pas non plus une native de Nefyria. Et tercio... Serre les dents.
Sans prévenir, la louve se retrouva juste en face d'elle, tenant le couteau à pleine main. Dans un même temps, à peine suffisant pour que les deux jeunes femmes se croisent du regard, Geleerde usa de sa force pour arracher la jambe déjà à moitié déchiquetée, provoquant un hurlement des plus effroyables à sa propriétaire.
— J'ai pas envie de me trimballer une invalide dans un lieu comme ça. Tu vas prendre ton mal en patience, pigé ? On est dans la même galère tous les trois.
Si dans la plupart des cas, notre louve aurait pensé légitime de couper un membre empoisonné pour sauver le porteur, son instinct lui dictait que ce n'était ni l'heure, ni le moment pour cela. Aussi, et après quelques secondes de torture, la jeune femme se figea sans prévenir, portant automatiquement un regard vers sa jambe. Rien. Aucune trace de sang. Sa jambe était toujours bien là. En quasi parfait état. La raison ? Geleerde avait usée de ses capacités pour l'enfermer dans une illusion. En d'autres termes, depuis l'instant précis où la blessée demanda le couteau de Jason, tout ce qui en suivit ne fut que pure facétie. Persuadée qu'il s'était écoulé plus d'une heure, il ne se passa en réalité que deux minutes. La scène devait être d'ailleurs particulièrement étrange aux yeux de Jason, qui n'avait pu voir qu'une femme frappant de son propre poing sa jambe, persuadée de tenir un couteau entre les doigts.
— Maintenant, tu vas nous raconter précisément pourquoi tu étais ici et peut-être qu'on fera quelque chose pour toi.