Kill the Starter [Solo]

La promotion. Enfin. L’un des moments préférés de la carrière d’un militaire. Lorsque ses actions sont prises en compte par sa hiérarchie et qu’elle décide de le récompenser. Plus de responsabilités, plus de pouvoir, plus de respect, et bien sûr, beaucoup plus de payes. Tout bon soldat aimait ce genre de glorification. Tous, sauf Nashar. Il ne fallait pas lui en vouloir. Le bougre avait déjà gravi tous les échelons, dépassant même le stade de Général en Chef des armées de Valice pour en devenir l’Empereur conquérant. Une simple montée de grade pour devenir agent n’allait pas le faire sauter de joie, car tout ce qu’il voyait, c’était du progrès dans sa régression. Un mouvement dans le bon sens au milieu d'un torrent inverse.

Malgré tout, le bleuté se faisait une joie dissimulée d’obtenir cet accomplissement en public. Rempli d’une fierté à la hauteur de son statut, il adorait montrer sa supériorité aux autres. Il portait avec orgueil son plus bel habit d’Empereur blanc, son écharpe favorite et avait même mis sa cape. Se faisant à l’idée qu’il ne se ferait, hélas, pas appeler « Sa Majesté l’Empereur Nashar Ier, Conquérant et bien faiseur de Valice » lorsqu’il s’élèverait au-dessus de la populace, il sortit de son appartement en se dirigeant vers le lieu de la cérémonie.


L’endroit était désert. Enfin, des paysans préparaient l’estrade et s’assuraient du fonctionnement de tous les appareils, mais aucun militaire présent. Pas un seul agent. Serait-il le premier ? Cela n’étonna pas Nashar, qui aimait prendre de l’avance sur les autres. Ainsi, il pourrait voir les agents de sa promotion arriver, un par un. Il n’avait pas eu beaucoup d’occasions de les côtoyer, privilégiant plus les missions de terrain que celle que l’on réservait généralement aux recrues. Il fut aisé de trouver une haute gradée et de gagner ses préférences. Ainsi, il avait obtenu quelques facilités dans le choix de ses missions. Certes, ce n’étaient pas des quêtes pour sauver un monde en proie au chaos, il avait simplement visité Solarii et entrevu l'ambassade flottante de HOPE à Val, pour des affaires diplomatiques à chaque fois. Mais de ce fait, il n'avait eu que très peu de contact avec ses collègues. Et ce n'était pas plus mal...






Favaro. La fine fleur des recrues. Une sorte de sangsue qui s’était collée à la semelle de Nashar dès leur première rencontre.

Le dos bien droit, le regard vers l’horizon, fixant un avenir radieux tout en rassurant sur les incertitudes de demain, Nashar donnait de la grandeur à sa posture. Fier, il n’avait qu’un léger sourire sur les lèvres, construisant une aura bienfaitrice tout autour de lui. Tout cela se portait en parfaite inadéquation avec le style relâche de Favaro. Ayant plus de peau apparente qu’une prostituée en manque de rentabilité, il avait plus l’air d’un chasseur de petit gibier que d’un militaire.




Petit à petit, des têtes familières apparaissaient. Des recrues et agents, personnage public et anonyme, et même quelques figures publiques. Tous se réunissaient à la grande place centrale. La lumière, d’une fausse chaleur, rendait parfaitement avec le cadre, légèrement boisé. Seul l'ombre du batiment abritant les salles de réunions venait troubler ce délice visuel. L’odeur du buffet en plein air prévu pour l’après-cérémonie chatouillait les narines des arrivants, tandis que les ouvriers redoublaient d’efforts pour terminer à temps. L’endroit grouillait de vie, ce qui apaisait quelque peu l’Empereur. Quelque peu.

Le sang du bleuté se glaça lorsqu’il entendit son prénom précédé du mot recru. Il détestait qu’on lui rappelle sa déchéance, même s’il l’avait choisi en connaissance de cause. L’Empereur se retourna pour poser un regard colérique à la source de cette gêne sonore. Mortik, Agent de HOPE, en charge de Favaro et de Nashar. L’homme, la cinquantaine, était connu sur tout HOPE pour ses crises de nerfs intenses. Ne s’exprimant que sur une fréquence sonore inventée pour agacer, le criard réprimandait toujours ses « protégés » pour leur exaction de manière exagéré et public, si bien que tout le vaisseau prenait généralement le bleuté et le roux en pitié.



Sur la Valice, cet homme aurait été décapité plusieurs fois. Plus précisément, Nashar aurait pris un plaisir fou en coupant des tranches de son visage, tel un saucisson fermenté et aigri. Mais à HOPE, il ne pouvait faire rien de la sorte. Évitez les meurtres. Un défi pour lui. Il fut un temps ou le sol flamboyant de la place aurait déjà été teinté de rouge. Yare yare. Ce monde ne comprenait pas l’importance des habits. Déjà qu’il ne se faisait pas à l’idée que l’Organisation n’avait pas de tenu officiel. Comment prendre une figure d’autorité au sérieux si elle n’était pas reconnaissable de la populace ? Une simple montre, qui en plus changeait de forme selon l’agent, n’allait surement pas aider à se faire reconnaitre. Le bleuté grogna de haine. Tous ses sens étaient en alerte : il aurait pu sauter au cou de Mortik dans la seconde, mais son sang-froid le rattrapa. Il s’approcha alors de la gueule de la source de sa colère, sous les yeux inquiets de Favaro.



Favaro recula d’un pas… Ne venait-il pas de… Non non non ! C’était subtil, mais… ? Non ! C’était beaucoup trop dangereux.



Interrompant Nashar, le roux le prit par les épaules pour l’éloigner du visage de Mortik.



Pensant finalement que ce simple début de phrase allait être suffisant, le bleuté se laissa entrainer par Favaro, tout en arborant un sourire extrêmement satisfait et provocateur. Mortik s’en trouva fort troublé, comme s’il venait de manquer quelque chose d’important.













Nashar soupira. Ne venait-il pas de lui dire qu’il n’y avait aucun danger ? Ce Favaro. Dire qu’au départ, il lui avait simplement demandé la direction des appartements. Depuis, le roux agissait en véritable pot de colle, n’hésitant pas à forcer le passage pour être dans les mêmes missions que lui. Et les choses ne s'étaient pas arrangées quand le nouveau meilleur ami du bleuté avant réussit à devenir son voisin. Mais l'Empereur s’était un peu fait à cette relation. Favaro savait entretenir une amitié, en payant des tournées et en jouant souvent les complices dans ses plans de drague.

Nashar sortit des vestiaires. Disons-le clairement, le fait de ne pas avoir pu arborer sa tenue d’Empereur, confectionnée par les plus grands couturiers de Valice, le faisait extrêmement chier. L’expression est rustre, mais dépeignait très bien les pensées du bleuté sur le sujet. Toujours était-il que c’était un grand jour… Ou du moins une avancée dans sa condition. Maintenant, il allait pouvoir choisir les mondes où il accomplirait ses missions, sans devoir faire des pieds et des langues auprès de ses supérieures. Mortik allait être en charge d’une autre équipe de recrues, lui donnant ainsi une paix méritée. Étonnement, le bleuté ressentait de la compassion pour les pauvres âmes qui allaient entrer dans cet enfer après lui.



La voix de Favaro dépassa Nashar en même temps que le roux. D’un pas pressé, il ouvrait la voie à l’Empereur. Il ne fallut néanmoins que quelques secondes pour qu’il s’arrête. D’une voix légèrement tremblante, il demanda :



L’Empereur fut surpris. Certes, Favaro était une pipelette sans vergogne. S’ils habitaient ensemble, nul doute qu’il lui parlerait à travers la porte des toilettes. Mais jamais il n’avait parlé de lui. Pour dire vrai, le bleuté n’en savait que très peu sur le passé de son compagnon, simplement qu’il était originaire d’Akerys. Et encore, il ne l’avait appris qu’en tombant sur son passeport, le jour où le roux avait emménagé dans l’appartement voisin. Devant tant de sincérité, Nashar se devait de répondre en bon Empereur.



Le bleuté le dépassa à son tour, se dirigeant vers la foule qui s’était déjà bien formée. Il s’arrêta néanmoins quand, déçu du geste froid de son ami, Favaro allait le suivre.



Vraisemblablement ému par cette phrase qui sonnait, à ses oreilles, comme un conseil, le roux eut un regain d’énergie. Il rattrapa son retard pour arriver au même niveau que Nashar et ils reprirent la route en même temps.