— Je te tuerais, j'arracherais ta langue de vipère, tu mourras de ma main, j'en fais le serment !
Vm’Go du clan des Vm. Un barbare qui n'en porte que le nom. Prétendu fier Val'Ka dont la bénédiction devint également sa malédiction, son corps pourrit lentement pendant que les vers picorent son bras gauche. Le temps n'a plus d'importance à ses yeux : la simple idée de sortir et de trancher la tête à celle qui ose le tenir en joue ici depuis plus de trois mois suffit à le maintenir en vie dans cette optique. La louve le toise de son regard couleur pourpre, tel un bourreau dénué d'émotion.
Assise dans l'ombre, elle observe son invité, la cendre de sa cigarette dansant fébrilement dans le vide avant de s'écraser à même le sol. Privé de lumière, Vm'Go commence peu à peu à ne plus savoir le nombre de fois où Geleerde lui avait déjà rendu visite. Jouant de cela, elle ne venait jamais le même jour, la même heure, ni même à intervalle régulier. Et tout ce qu'elle faisait lors de ces entrevues, était de simplement l'observer dans la pénombre glacée de la grotte.
— Qu'importe combien de temps tu aboieras, tu ne restes qu'un chien qui doit être apprivoisé.
Le barbare n'est pas encore prêt à capituler. Soit. Sa témérité est admirable, mais Geleerde sait faire preuve de patience. Elle attendrait, encore. Des mois, peut-être des années, mais elle attendrait. Qu'importe combien de temps lui faudra-t-il encore pour briser l'esprit du Val'Ka : elle guetterait dans l'ombre jusqu'au jour où elle pourra reconditionner l'âme de Vm'Go comme elle l'entendrait.
D'un geste las, la main de l'hybride se lève pour activer de nouveau l'illusion entourant la grotte devenue la prison du barbare. Une manœuvre aisée dans un tel lieu où la magie est proscrite : les fiers guerriers de Val n'étaient pas assez érudits pour se rendre compte de la supercherie. Hormis elle ou les mages les plus avertis pouvant détecter le mirage, personne d'autre ici ne saurait ce qui se trame derrière ses murs de pierres.
* * *
Devant elle, la statue du grand Kal'Dnir pointait le ciel de sa lame brisée pendant qu'elle analysait les environs d'un regard strict. Occultant son précédent statut d'Agente de HOPE, l'hybride arrivait la plupart du temps à se faire passer pour un membre d'une tribu reculée de Val. Bien que sa taille n'était pas aussi imposante que les barbares, sa force ainsi que son aspect bestial avaient de quoi grandement aider. Les maigres rumeurs à son sujet commençaient peu à peu à se propager, mais cela n'était pas encore suffisant pour que l'indomptable se fasse un nom. Brouillant ainsi volontairement les pistes la concernant, elle jugeait qu'il n'était pas encore venu le temps de se faire connaître plus que nécessaire et d'ainsi compromettre ses projets. Qu'il s'agisse d'une coupe de cheveux différente, des muscles fermes ou l'amputation d'un membre, Geleerde apparaissait toujours différente à chacun des barbares qu'elle croisait, restant ainsi difficilement traçable pour n'importe qui.
Bien sûr, ce genre de stratagème ne pourrait guère fonctionner à Akerys ou en la présence d'un mage ou autre sorcier, mais l'inexpérience des guerriers de Drekk offrait un avantage indéniable pour l'indomptable. Aujourd'hui d'ailleurs, sa coiffure arborait des couleurs argentées tandis que le teint de sa peau se confondait avec celui du sable chaud de Val. Quelques peintures de guerre ornant les contours de son visage et de ses bras, la Trompeuse de Mort se fondait dans ce nouveau décor. Seul son regard ardent ne changeait pas, exposant fièrement deux yeux couleurs rubis étincelant comme jamais.
* * *
— À combien de verre es-tu ?
— Est-ce bien important quand la boisson coule à flot ?
Le rire gras et sincère du Val'Ka fit sourire la louve pendant qu'elle griffonnait encore quelques lignes dans son calepin vieilli par le temps. Assise en cercle avec d'autres barbares, ils buvaient sans se soucier des quelques passages aux alentours. Tous des marchands itinérants, ils avaient convenus de faire une halte méritée devant la statue du grand Kal'Dnir. Quant à Geleerde, elle n'avait croisée que simplement leur chemin, participant à la chasse d'un Tyrg et festoyant leur victoire en leur compagnie : les origines de chacun importaient peu : aujourd'hui, ils faisaient tous partie d'une tribu éphémère et qui disparaîtrait au lever du jour suivant.
Contempler le quotidien des clans de Val était devenu une habitude chez la louve : pour certaines raisons, le train de vie des barbares lui rappelait celui de Vaylirah, la terre qui l'avait vu naître. Comprenant ainsi certaines de leurs coutumes, elle ne manquait cependant pas de pointer quelques traditions obsolètes qu'elle considérait comme étant un frein à l'évolution des habitants. Notant ses recherches, ses observations, l'hybride avait un plan bien en tête... Qu'elle ne comptait pas mettre en application tout de suite encore.
Soudain, les discussions cessèrent et certains regards se tournèrent vers la silhouette d'une jeune femme à la chevelure écarlate. Quelques murmures parvinrent aux oreilles de la louve, évoquant la possible disparition d'une tribu depuis peu et de sa seule survivante. La plupart se doutait des raisons du pourquoi la guerrière se trouvait ici et ce qu'elle désirait faire. À en juger par le tissu de cérémonie ornant sa nouvelle lame, elle allait obtenir sa bénédiction. Quand Aila'Ra vint passer non loin d'eux, l'un des Val'Ka accompagnant la louve se leva afin de la saluer avec respect :
— Que le Grand Kal'Dnir t'apporte honneur et force, sœur.
À ces mots, il porta sa chope à ses lèvres pour en boire son contenu d'une traite, suivit aussitôt par d'autres barbares qui invitèrent la belle des flammes à les rejoindre. Après tout, qui refuserait un verre avant d'acquérir une bénédiction ?