Le fuyard savait courir, vite et bien, et il fallait dire que la précipitation lui allait bien puisque dans sa charge il se permettait même de bousculer d’autres passants, d’une part pour me ralentir en les envoyant vers moi, certes, mais aussi bien pour leur prendre leurs biens à eux aussi, ce qui laissait penser qu’il n’était pas exactement un amateur à son coup d’essai, mais peut-être même quelqu’un qui vivait de ses larcins, que la loi n’avait, il semblerait, pas su condamner. J’arrivais malgré tout à le suivre, sans réellement rattraper la distance, mais étant finalement plutôt capable d’éviter les obstacles de la foule et du paysage urbain, n’étant moi-même pas non plus à ma première fois pour ce type de course-poursuite. Cela dit, il connaissait la ville mieux que moi, et, si j’avais peut-être moyen de l’emporter à l’endurance, qui sait si sa ruse ne finirait pas par me jouer un tour.
Je pouvais sentir
Kalli plus loin derrière moi, qui semblait un peu plus peiner à ne pas perdre en distance, mais s’efforçait de nous garder en ligne de vue. D’une certaine manière, je lui avais promis de l’aider, et si ce n’était pas un cas de force majeure, alors qu’était-ce ? C’était son bras gauche, et une part d’elle-même avec sa mémoire qui était déjà défaillante, ce n’était pas une perte anodine, et pourtant, j’en était encore à jouer le jeu du banal
Rell que je voulais montrer à tous ici. Si j’avais daigné user de ma magie, j’aurais sans peine intercepté le voleur, et je n’aurais sûrement aucun risque de perdre sa trace, alors pourquoi ? Je n’ai toujours pas retrouvé
Suryan. Je n’ai toujours pas la certitude de pouvoir éviter la maladie des sorciers, la Décadence, et, même dans ce cas où je ne devrais pourtant pas me contenter d’une prestation aussi médiocre, je continuais à jouer le jeu, mentant comme au début en me faisant passé pour un sans-pouvoirs.
Je ne sais pas si ce fut alors le destin qui me narguait en me montrant que si je persistais à rester personne, on finirait bien par agir sans moi, mais finalement, je n’aurais pas eu besoin de rompre ce vœu de prudence que je m’étais fait à moi-même. Il était alors bien en avance, prenant légèrement de la distance, et se permit de tenter un vol à la tire sur un passant, qui l’interrompit sans effort en le tenant par la gorge comme une bête. Rapide, précis, un mouvement irréprochable droit au but qui eut le mérite de stopper net la course du malandrin alors que je fermais la distance en arrivant, suivi d’assez près par
Kalli. En s’agitant, je pouvais le voir perdre son sac, et m’imaginais déjà que le membre perdu risquait d’être dans un piteux état là-dedans. Ralentissant un peu le pas devant l’urgence de la situation qui n’était plus, je me demandais déjà comment remercier cet étranger qui m’avait ôté une sacrée épine du pied en me permettant de garder mon identité de profane.
- Merci, mille fois, c’est bien lui.
Je soufflais un peu, rien d’étonnant après une course folle comme celle-ci, et voyait d’un coup d’œil en arrière
Kalli qui approchait à grand pas en râlant. J’observais un peu notre bienfaiteur en finissant la distance qui nous séparait en marchant, il avait, je dois le dire, un air nonchalant peu commun en tenant un homme d’un bras et en s’enfilant du vin à la bouteille de l’autre, et pas une simple bouteille de vin de table, on dirait. Mais le voleur, semblant alors craindre pour sa survie, n’entendait pas se laisser faire si facilement, et, dans un effort soudain, eut comme une poussée d’adrénaline en se saisissant d’une hachette pour abattre un coup de tranchant sur le bras qui l’entravait avec la force d’un condamné et la précision d’un boucher. Le geste était si rapide que je n’eus le temps de réagir, en plus au vu de la distance nous séparant, et avant que je ne puisse me remettre à courir, il avait déjà pris une accélération inattendue et s’était faufilé dans les foules pour y disparaître comme une ombre dans la nuit.
La scène avait déjà de quoi surprendre, mais il était autrement plus intriguant de voir l’inconnu si peu touché par sa main coupée, alors que celle-ci sembla devenir une masse de poussière tandis qu’une autre lui succédait à une vitesse surréelle. J’avais entendu des légendes de guerriers dont le corps semblait se soigner de lui-même comme celui d’un monstre, mais je n’aurais jamais cru voir ça de mes propres yeux, d’où le regard ébahi que je portais sur ce nouveau membre alors qu’il râlait d’un air à peine dérangé sur le fuyard déjà bien loin. Je me retenais alors de penser à voix haute quant à savoir « Quelle genre de chose est-il ? » , et préférait ignorer le reste de la scène pour reprendre mes esprits pour en revenir au problème de
Kalli qui arrivait tout juste en criant.
- Héééééé, mon bras !
Je pointais alors le sac que l’autre gars avait laissé en sauvant sa vie en espérant sincèrement que ce que l’on cherchait était dedans et pas tombé en route.
- Je ne sais pas ce que vous voulez faire du reste de ce qu’il a chapardé en route, mais j’aimerais vraiment récupérer le bras qu’il a arraché à mon amie, les Kuartz important peu, vous comprendrez sans doute.
J’avais bien failli ajouter que le sien ne repousserait pas, mais, encore une fois, j’avais du mal à me faire à l’idée de ce que je venais de voir. Soufflant comme si elle avait passé la semaine à courir le marathon,
Kalli, qui venait d’arriver, fit une courbette exagérée en remerciant l’homme en face duquel elle s’était plantée.
- Merci merci merci, je ne sais pas ce que je serais devenu s’il avait filé avec, c’est que j’en ai besoin moi.