Blue and Red equal Black

Dreamy Paradise, 23h30. Fin de semaine.

MUSIQUE





Des cheveux rouges.





Des iris rouges.





La vérité.





Une voix inhabituellement teintée d’une tristesse sincère.





Des yeux rouges qui se baissent.





A elle.





Pour elle.





Elle.





L’était-elle ?






Il ne savait pas.








Le piano s’arrêta doucement, peu après la voix de Nyris. Peu à peu, des applaudissements résonnèrent dans le cabaret. Le chanteur et son pianiste firent une sobre révérence, avant de descendre de la scène. Un homme y monta. Tout le monde ici le connaissait. Il s’agissait d’Esmal, patron du Dreamy Paradise et grand chef d’orchestre de la symphonie des programmations des soirées. Être à l’affiche ici, c’était bénéficier d’une notoriété d'influence. Beaucoup de chanteur et de musicien, maintenant célèbre, avaient fait leur début sur cette estrade. Mais tous n’avaient pas eut cette chance. Certains étaient restés dans l’anonymat. D’autres... Eh bien disons que ceux qui décevaient les attentes d’Esmal devaient en payer le prix. Aussi douloureux soit-il.



Esmal continua par la suite en indiquant les artistes suivants. Pendant ce temps, Nyris alla à la loge de Nashar. Il troqua rapidement sa tenue de scène pour son long manteau, dans lequel il était beaucoup plus à l’aise, puis il se posa sur une chaise en face d'un miroir. Il se regarda un instant dans les yeux et vit instantanément ses joues rougir. Recueillant sa tête dans ses mains en la balançant de gauche à droite, comme pour se frotter le visage, il marmonna, non sans fierté.



Ayant de plus en plus du mal à respirer, le timide tenta de se calmer en se donnant de légères claques. Il releva la tête pour se fixer encore une fois dans le miroir.



Motivé par son discours, Nyris se leva. Il était prêt à en découdre.


Pour comprendre comment le doux et tempéré Nyris en était venu à devoir mener à bien une mission pour HOPE, il fallait remonter quelques heures auparavant. Le brillant Nashar, Empereur conquérant de Valice, Agent de HOPE depuis quelques semaines et détenteurs d’immenses pouvoirs... Était cloué au lit. Pas à cause d’une maladie, hélas, mais à cause de quelques côtes cassées. La raison ? Une mise au point avec Mortik. L’Agent Supérieur n’y était pas allé de main morte et, malgré la conclusion non mortelle du combat, il allait falloir du temps aux deux hommes pour s’en remettre. Temps que Mortik ne désirait vraisemblablement pas accorder à Nashar. En effet, le bougre lui confia immédiatement une mission, en ignorant les conditions dans lesquelles il avait laissé son ancienne recrue.

C’est là que la fierté du bleuté rentrait en jeu. En quasiment six mois de service, il n’avait jamais refusé une mission confiée, et il ne comptait pas le faire de si tôt. Si le démon parasite en lui ne lui offrait pas des dons de régénération avancée, il avait cependant plus d’un tour dans son sac. Notamment celui qui lui permettait de s’affranchir des contraintes démoniaques qui l'enchainaient : La division. Acte durant lequel Nashar perdait temporairement la vie, scindant son âme en deux parties.

L’énergie de ce sacrifice nourrissait une première fois le parasite, qui était ensuite ramené à satiété lorsque les deux parties de l’âme mouraient à leurs tours pour en redevenir une seule. À ce moment-là, Nashar réapparaissait... Avec un corps neuf,  âgé de 27 ans, en parfaite santé. Pourquoi ? Simplement parce qu'il avait utilisé ce sort à cet âge-là, et que c'était devenu une sorte de point de sauvegarde. Qu’importe s’il perdait un bras, du moment qu’il se divisait et qu’il redevenait lui, il le retrouverait à la fin.

Bien sûr, cela ne faisait pas de lui quelqu’un d’immortel. S’il ne se divisait pas instantanément après un coup létal, il y restait. De plus, la division consommait de son énergie, et le démon s'accaparait à chaque fois d’une infime partie de son âme.

C’est donc dans l’optique de retrouver sa santé que Nashar s’était divisé, cette fois. De toute façon, avec le combat qu’il avait mené contre Mortik, il savait bien qu’il allait devoir le faire bientôt. L’utilisation de sa magie creusait l’appétit du démon pour le meurtre, et son influence sur les pulsions sanglantes de l’Empereur commençait à croitre. Le démon devait être nourri, et, aussi malveillant que le bleuté fût, il préférait que ce soit lui qui fasse office de diner.


Nyris arriva au bar du Dreamy Paradise. Sans aucun papier l’identifiant, il ne pouvait prouver son âge. Et ce n’était pas son allure d’adolescent qui allait l’aider à pouvoir commander de l’alcool. Quel dommage que la HOPEWatch n'arrivait pas à l'identifier en tant que Nashar, il aurait aimé s'en servir comme d'un passe-droit. Il s'avança donc jusqu'au comptoir pour boire un grand verre de lait chocolaté bien frais, histoire de se donner du courage, et s’engagea vers la sortie. Déterminé comme jamais, il allait prouver à tout le monde qu’il était plus que la partie timide de Nashar. Il avait son courage et son astuce. Il mènerait à bien la mission confiée par celui qu’il considèrerait comme son grand frère aux cheveux bleus. Rien ne se mettra en travers de sa route... C’est ce qu’il crut. Mais au moment même où il se leva, un visage familier fit enfouir le sien dans ses longues manches.




Depuis quand était-elle là ? Oh non... Depuis combien de temps était-elle ici ? Elle ne l'avait tout même pas... Entendu chanté ? Le rouge resta sur place, se bouchant les oreilles en essayant de faire taire toutes ses questions dans sa tête. Rougissant de plus belle, il fit demi-tour pour se remettre au comptoir. Que faisait-elle ici ? Nashar ne l’avait pas mentionné dans la note qu’il lui avait laissé ! C’était écrit « Mission d’observation, solo ; n’oublie pas de performer au Dreamy Paradise », suivit des détails de la dite mission. Mais rien concernant un éventuel partenaire... Se pourrait-il que la louve était ici pour écouter le rouge ? Mais elle n’avait pas pu savoir qu’il serait là ce soir... Donc elle était ici pour le bleuté...



A cette pensée, Nyris tira une légère mou, pendant qu’on lui versait un autre verre de lait. Prenant une pause d’alcoolique qui avait passé une sale journée, il abbatit son poing sur la table. Ceci eut pour effet d’attirer le regard du barman... Et de lui déclencher une légère douleur à la main.

Geleerde, Geleerde, Geleerde. Cette animale en chaleur, toujours en train de roder autour des parties masculines de Nashar - à comprendre Nyris et Nashar lui-même, hein -, était encore plus insupportable quand Nyris était dans les environs. Se frayant un chemin à travers les tables du cabaret, le regard de Naïcel butait irrémédiablement sur le viol de son frère rouge par l’odieuse louve au comptoir d'en face. Quelle idée de s’exposer comme cela devant tout le monde. Elle savait que la pudeur n’était pas un trait de caractère de Geleerde, mais ses excentricités devenaient de plus en plus dangereuses... Et malsaine. À la manière d’une lionne s’étant prise d’affection pour une faible et docile gazelle, la relation contre nature qu’elle entretenait – ou du moins qu’elle voulait entretenir – avec le jeune homme hérissait à chaque fois la longue chevelue rouge de Naïcel.

Elle, moitié la plus Nasharienne du duo, n’aimait pas qu’une partie de son tout se fasse traiter en morceau de viande. À maintes reprises déjà, elle avait tenté de faire prendre conscience à Nyris de sa passivité et de son émotivité beaucoup trop développer. Après tout, ils avaient la même origine, alors comment pouvait-il se laisser autant aller ? Hélas, se complaisant dans une oisiveté légendaire, le rouge ne prenait aucun de ses conseils au sérieux. Naïcel devait donc l’avoir constamment à l’oeil, de manière à ce que son honneur ne soit pas souillé. Prétextant généralement « être partie s’amuser », la rouge passait le plus clair de son temps à épier son frère jumeau, afin de le prévenir de tout danger.

Car en plus de se laisser aller à des comportements qui pousseraient Nashar au suicide, Nyris avait aussi tendance à se mettre dans des pétrins incroyables. Enfant dans l’âme, son immaturité mentale le poussait à vouloir souvent jouer les chevaliers blancs. Il avait hérité des répliques cinglantes du bleuté et les sortait lorsqu’il retrouvait son courage et sa confiance. Le problème, c’était que cela n'était que temporaire. Très vite, il retournait à ses vieux démons, n’assumant que très rarement ses propos. Inutile d’expliquer les répercussions que cela pouvait avoir. Aussi, pour éviter de devoir passer tout le temps où elle existait à devoir soigner et réconforter Nyris, Naïcel avait décidé de n’être jamais très loin de lui. Somme d’une grande partie des pouvoirs du bleuté, elle était une très bonne gardienne d’ombre, ne se faisant remarqué que lorsqu’elle ne prévoyait pas l’arrivée d’un élément perturbateur. Généralement Geleerde.

Comme le laissent entendre les nombreuses remarques ci-dessus, Naïcel n’est pas la plus grande fan de la louve insolente. Aux antipodes, les deux femmes avaient une relation complexe, où la haine et l’affection semblaient s’être dissous en une épaisse et goudronneuse pâte. Mais une chose restait claire dans la tête de la rouge : Geleerde était une faiblesse pour elle, et pour eux. Et comme l’aurait fait Nashar pour se défaire d’un point faible, elle travaillait à le renforcer. Comment ? En faisant ce qu’elle savait faire le mieux. Sermonner Nyr- Que faisait-il !?

***

Surpris, Nyris recracha son lait lorsque Geleerde se colla à son dos. Il ne pouvait s’en prendre qu’à lui : en s’asseyant au comptoir ainsi, il ne l’avait pas vu venir. Mais ce ne fut rien face à son ressenti lorsqu’elle lui murmura quelques mots au creux de l’oreille. Sentant son souffle caresser le flanc de son visage, le rouge dû tuer dans sa gorge un petit gémissement, qui n’aurait sans doute pas arrangé son cas. Car il le savait, Geleerde était tel le monstre du cauchemar d'un enfant, qui gagnait de l'emprise à chaque sanglot de sa pauvre victime. En l’occurrence, la louve se nourrissait des aspects mièvres du rouge. Non pas que cela lui déplaise, il ne demandait que cela. Mais le comportement beaucoup trop... Tactile qui en résultait avait tendance à lui apporter des ennuis. Car d’une manière ou d’une autre, peu importe où il était, Naïcel savait toujours s’il avait rencontré Geleerde, même par hasard. Certes, c’était peut-être dû à l’expression comblée de son visage qu'il arborait immédiatement après. Mais le rouge n’excluait pas non plus qu’elle ait engagé quelques détectives pour le suivre.

La question de Geleerde, tel un doux parfum, s’aventura dans les chemins de l’esprit de Nyris. Satisfaisant ainsi chacun de ses sens, il entra dans une certaine euphorie, comme pouvaient en témoigner ses joues. Habituellement légèrement bronzées, comme celles de Nashar, elles rougissaient assez souvent, lorsqu’on accordait de l’attention à leur propriétaire. Ceci dit, la louve ne les avait surement jamais vues dans leur état normal.



Balbutia Nyris. Tout enchanté qu’il fût, il n’oublia pas sa « colère » d’il y avait quelques instants. Geleerde était là pour Nashar, pas pour lui. Qui plus est, lui parler maintenant, après une telle chanson... Le rouge vit son visage prendre la couleur de ses cheveux. Heureusement, un verre d’alcool tomba à point nommé. D’un geste sec et rapide, il s’en empara et le but d’une traite.



S’exclama alors une voix bien familière, au loin. Interrompant la plupart des clients du cabaret, Naïcel s’avança telle une furie vers Geleerde et Nyris, jusqu’à ce qu’elle puisse attraper son frère par le col de son manteau. Le séparant de Geleerde par la même occasion, elle le secoua vigoureusement, dans l’espoir que l’alcool qu’il venait d’ingurgiter ressorte.



Voyant que cela n’avait aucun effet, elle se tourna irrémédiablement vers Geleerde. Les yeux courroucés au point de ne plus pouvoir en cligner, la rouge continua sur le même ton.



Grommelant dans sa barbe imaginaire, elle observa le visage de sa moitié devenir de plus en plus jovial. Un air hautement hautain remplaça peu à peu sa rougeur habituelle et sa main vint se poser sur celle de sa soeur, encore sur son vêtement.



La dévorant des yeux, des éclats brillants semblaient s’en échapper. Naïcel tenta bien de se dégager la main, mais Nyris le tenait fermement. Se levant sans la lâcher, il la ramena contre lui pour l’enlacer tendrement, tandis qu’elle lui donnait plusieurs coups dans les côtes.



Victime à son tour d’une rougeur incontrôlée, la rouge usa de son emprise sur la glace pour geler les mains de Nyris, afin de se dégager.



Peinant soudainement à rester debout à cause du froid qui se diffusait dans son corps, Nyris ne put empêcher sa violente libération. L’ivre tenta de se stabiliser, ce qui le poussa à regarder le sol. De là, il vit des pieds, puis des jambes, puis une taille et... Et ses mains bougèrent d’elles-mêmes.

Note : Nyris ne tient pas l’alcool.

Femme de basses moeurs, le QI de la louve était, sans grande surprise, tout aussi bas. Déjà que ses principales qualités ne servaient à rien en dehors d’un champ de bataille, si en plus elle oubliait des choses aussi élémentaires que la dangerosité d’un Nyris ivre, elle risquait de ne pas faire de vieux os à HOPE. Témoin de la première cuite du rouge, ni elle, ni Naïcel ne s’attendaient à ce soudain changement la première fois, si bien que l’apprenti Nashar eut tout le loisir de s’amuser durant de longues secondes, tripotant de ci et de là tout ce qu’il pouvait. Assurément, Nyris avait hérité du côté luxurieux de Nashar. Naïcel sentait même qu’il avait le potentiel pour le dépasser.

Dégoutée par les actes de sa moitié, Naïcel le repoussa. Elle regretta immédiatement – et paradoxalement – son geste lorsqu’il le vit ses mains sur la poitrine de Geleerde. Inconcevable ! La rouge prit quelques secondes pour comprendre ce qu’elle avait devant ses yeux. Nyris qui pelotait Geleerde. Même si elle en connaissait les raisons, c’était extrêmement bizarre de voir cela. Une singularité, qui ne pouvait être synonyme que d’une chose : une catastrophe de grosse ampleur. Telles les lois insécables à l’Univers, certaines choses devaient en tout temps fonctionner de la même manière. Nyris ayant du mal avec la gent féminine en était une. Et Naïcel tremblait en pensant aux répercussions que la séance de pelotage pourrait bien avoir sur le cosmos. Peut-être plus grave que l’attaque de l’aîné ? Elle ne tenait pas à le savoir. Mais avant d’avoir pu faire quoi que ce soit pour arrêter cette hérésie à l’ordre des choses, Geleerde vint poser sa main sur celle du rouge.





S’imaginant déjà la suite de cet acte, Naïcel ne put s’empêcher de virer au rouge. Ses joues furent teintées d’une couleur encore plus vive que celle de son jumeau, si bien qu’elle se les cacha instinctivement. Miroir parfait de l’autre moitié de Nashar, elle sentit son corps se réchauffer. Cette folle ! Qu’allait-elle faire à un homme qui paraissait la moitié de son âge dans un lieu public ? Elle ne comptait tout de même pas le... Non ! Non ! Elle n’était si désinhibée que cela ! Elle l’amènerait surement dans les toilettes du cabaret, le déshabillerait et profiterait du cadre pour justifier les atrocités qu’elle aurait pu lui faire. Le pauvre Nyris en ressortirait traumatisé, et elle devrait encore le réconforter des jours durant, à pleurer ses misères. Brisé, Geleerde ne trouverait plus dans le rouge l’objet de convoitise qu’il était, et elle le délaisserait pour un autre étalon à peine pubère. Soudainement délaissé, Nyris n’aurait d’autres choix que de lâcher son dévolu sur celle qui l’a toujours soutenu. Et naturellement, un soir où ils auraient trop bu, ils auraient immanquablement-...



Mais à quoi pensait-elle au juste ? Il n’y avait absolument aucun moyen pour que Geleerde se désintéresse du rouge après avoir dévoré sa vertu ; il était même plus que probable qu’elle le dévergonde ou pire, qu’elle fasse de lui un être aussi répugnant que Nashar. L’innocent, faible et naïf, deviendrait par la suite un homme froid aux désirs insatiables. Et naturellement, un soir où sa soif de volupté se ferait beaucoup trop intense, Nyris aurait...




De la fumée s’échappa de la tête de Naïcel qui, sans vraiment s’en rendre compte, avait emboité le pas à Geleerde. Mais pourquoi cela ? Pourquoi Nyris était-il dans cet état, assommé sur son épaule ? La moitié féminine de Nashar força sa mémoire. La main de Nyris sur la poitrine de Geleerde, celle-ci qui l’invite à y mettre plus de force de la sienne, les toilettes... Non ! C’était à ce moment qu’elle avait perdu pied avec la réalité ! Elle chercha encore, repassant ses pensées indécentes en revue, non sans une honte inassumée. Puis elle se souvint. Elle se souvint que cette chienne de louve avait osé s’en prendre à son frère.



À la manière d’un Mortik à qui on aurait paramétré l’IA de sa HOPEWatch pour qu’elle parle avec la voix de son Empereur préféré, Naïcel s’époumona. Certes, elle savait que le coup avait été porté plusieurs secondes – peut-être même minutes – avant, mais cela ne l’empêcha pas de réagir « au quart de tour ». Pendant ce temps, l’imbécile heureux sur les épaules de Geleerde commençait à se tortiller, signe que son ivresse atteignait son paroxysme. Oui, il ne fallait pas beaucoup de temps pour que Nyris se saoule, et encore moins pour qu’il dessaoule. Le problème était qu'au moment du pic de son taux d’alcoolémie, le rouge avait tendance à... Hm, il était assommé, il ne ferait rien de gênant. Cela réconforta quelque peu Naïcel.

Étonnement, Naïcel ne se rendit compte qu’elles étaient proches de la sortie une fois celle-ci à quelques centimètres. Pourquoi sor-... Oh ? Geleerde ? Assommer Nyris ? L’enlever... Non ! Le kidnapper ! Mais cette folle était une véritable prédatrice se-...



Déjà ? La dernière alerte de Ronda semblait dater d’il y avait quelques minutes, pourtant, si elle rappelait ces informations tant entendues, c’était que trois heures s’étaient écoulées depuis. La pauvre IA n’était pas configurée pour appréhender le changement d’état de Nashar. Heureusement, les techniciens de HOPE lui avaient promis quelques correctifs afin de pallier ce problème. Mais en attendant, les deux rouges n’avaient pas accès aux services du vaisseau-monde. Pas d’argent, pas de carte, et comme leur voix n’était pas préconfigurer dans la reconnaissance vocale de Ronda, il ne pouvait même pas déverrouiller la HOPEWatch. Ceci dit, ni Naïcel, ni Nyris ne s’inquiétaient de ce manque de support. Habitués à se débrouiller par eux-mêmes, ils survivaient très bien sans. Car quand quelque chose allait mal...



D’instinct, le visage de Naïcel prit une expression neutre, même si teinté d’un léger dédain. Esmal. Patron du cabaret, il était connu pour châtier ceux qui lui déplaisaient. Et ce n’était pas les châtiments auxquelles on pourrait s’attendre d’un chef d’établissement. Cet homme seul était totalement illégal. Sur le même ton que son expression, la rouge cracha :



N’étant jamais venue dans ce bar avant, la femme conclut que cela devait être une de ses habitudes qu’elle tenait de Nashar. Cela fut confirmé par le comportement de Geleerde.

La louve avait ra... Elle n’avait pas tort. Trop crier pourrait réveiller Nyris, et personne ne voulait cela. Tout comme son illustre grand-frère Nashar, il faisait, hélas, partie de ses hommes qui étaient appréciables uniquement quand ils étaient inconscients. Et encore. Malgré tout, la rouge n’aimait pas être d’accord avec Geleerde. Le signifiant d’un geste simple, elle continua de lui emboiter le pas, s’acquittant de sa dette sur le dos de Favaro.



L’ascenseur. Cette invention horrible étalait une action qui prenait à Nashar ou Naïcel quelques secondes sur quelques minutes. Un simple saut, amorti par de la lévitation ou par le contrôle de l'air, aurait suffi aux deux mages. Hélas, il était apparemment mal vu d’user de ses capacités comme cela, à tout va. Naïcel ne comprenait pas. Contrairement à Nashar, qui était né sans, et Nyris qui n’en avait pas assez pour l’utiliser correctement, elle trouvait la magie nécessaire dans sa vie de tous les jours. Détecter un danger, faire chauffer de l’eau ou même simplement apprécier sa maitrise. Des tâches d’une simplicité enfantine qui pouvaient être tellement ardues en les faisant comme un non-mage. Mais Naïcel n’oubliait pas d’où venaient ses pouvoirs.

Durant les interminables et silencieuses minutes suivant l’entrée dans l’ascenseur, et quelque temps après en être sorties,  la rouge ne put s’empêcher de penser à cette chose qu’elle devait garder à cause de Nashar. Pas Ronda, l’IA du bleuté, mais une autre chose, résultante de son égoïsme et surtout, de sa faiblesse. Cette chose qui était, paradoxalement, la raison principale de son existence. Le démon. Celui dont le nom n’était connu que d’elle. Pourquoi ? Elle-même ne le savait pas. Mais ce qu’elle savait en revanche, c’était qu’à chaque fois que son âme retournait au néant pour y sortir celle de Nashar, elle se retrouvait à cet endroit, seule. Un nuage, embrumé, sans sol, sans couleur.

Hélas, il n’était pas désert. Ce démon était là. Faible. Quémandant pour qu’on le nourrisse. En le voyant, on comprenait qu’il avait été quelque chose de dangereux, puissant, maléfique. Mais maintenant, la rouge était convaincue de pouvoir l’achever d’un revers de la main. Elle n’y pensait pas, préférant le garder comme source des pouvoirs du bleuté, et donc des siens. Nashar et Nyris le voyaient-ils aussi ? Ou n’était-ce qu’elle ? Si elle ne pouvait pas demander au premier pour la simple raison qu’ils ne se croiseraient surement jamais, elle n’osait pas demander à son frère, bien trop inquiète de l’effrayer. Car le timide avait aussi tendance à trop s’en faire pour les autres. Trait surprenant chez quelqu’un qui était censé contenir une partie des émotions du bleuté.

Les pensées de Naïcel furent soudainement interrompues par Geleerde. La louve s’approcha doucement de la rouge. Délicatement, elle frôla son cou, le faisant immédiatement se parcourir de mille et un frissons. Même si elles étaient assez éloignées, la rouge se mit soudainement à sentir le souffle de celle qu’elle détestait en temps normal. La chaude brise parcourait l’air pour venir caresser sa peau qui tremblait au rythme d'un coeur haletant. Que faisait-elle ?

Oi ! Tu fais qu-...

La rouge eut sa réponse pendant qu’elle posait sa question. La louve en avait après la HOPEWatch de Nashar. Coupant court à tout scénario burlesque, elle se calma immédiatement, laissant passivement l’Agent demander à Ronda de changer le meneur de la mission en cours. Néanmoins, elle le fut moins lorsque la louve exprima ses projets pour elle et son frère.

De quoi ? C’est notre mission ! On vient.

La phrase était simple, ferme et irrévocable. Ayant repris ses couleurs habituelles, Naïcel fronça les sourcils : Geleerde n’allait pas la chasser de son dû si simplement. Qu’elle prenne la tête de la mission pour avoir accès à ses informations, passe encore. Mais qu’elle décide tout simplement de l’écarter de toute l’action ? Jamais de la vie ! Elle n’allait pas se laisser déposséder de la sorte, non sans avoir crié sa rage, pendant longtemps. Mais pendant qu’elle se préparait à le faire, le sort de Nyris l’inquiéta soudainement. Que la louve le veuille ou non, elle la suivrait ; mais son frère, qu’allait-il faire ? Il lui faudrait une bonne heure et demie pour reprendre conscience, et il était hors de question de l’exposer à du danger, alors qu’il était inconscient. La rouge relativisa néanmoins : c’était généralement le cas, hélas. Elle pensa rapidement à une alternative.

Pour Nyris, appel un HOPEber et livre-le chez Favaro, il saura quoi en faire.

Le roux n’était pas très à l’aise avec la séparation de son meilleur ami en deux entités. C’était en tout cas ce qu’avait conclu la rouge en le voyant perdre ses moyens à chaque fois. Cependant, il avait la confiance de Nashar, et elle était assez forte pour que Naïcel décide de lui confier son frère. Cela en disait long : sa vie importait plus que tout.

Marmonna le rouge en quittant difficilement les bras de la louve pour le siège froid du HOPEber. Étonnement, Naïcel avait déjà entendu ces mots. Sans doute un réflexe que son frère avait une fois saoul, ce n’était pas le seul. Par exemple, Nyris avait la fâcheuse manie de vouloir monter sur tout ce qui avançait. Durant une soirée trop alcoolisé -pour Nyris- à Valice, il était monté sur une calèche. Il fallut trois jours pour le retrouver. C’était pour éviter ce genre de mésaventure que la rouge ne le laissait que rarement seul.

Assistant à la séparation de l'inconscient et de la brune, Naïcel eut une soudaine envie d’accélérer les choses. Qu’avait-elle à prendre autant de temps, juste pour poser son frère dans la voiture ? Et puis c’était quoi ce cinéma, ce changement de tenue, venue avec un changement d’attitude. Elle n’avait jamais vu la louve aussi... Normal. La rouge en fut décontenancé, comme si elle venait d’assister à la transformation d’une chenille en papillon. Pourtant, cette impression n’était pas nouvelle. Par diverses occasions déjà, la belle avait pu entr’apercevoir une Geleerde différente de la chienne en chaleur habituelle. Dans ces moments, il s’agissait d’un tout autre type de chienne, ayant appris à contrôler ses bas instincts. Ces moments ne duraient pas longtemps, pas assez pour que la rouge puisse se faire une idée de ce qu’elle pensait de cette Geleerde. Mais maintenant qu’elle avait tout le loisir de l’épier...

Coupant court à tout jugement, les deux HOPEWatch se mirent à afficher les informations de la mission. De façon synchrone, Miraw et Ronda lurent les mêmes informations.



Hm. Quelle chance pour Geleerde. Elle allait pouvoir aider ses frères et soeurs de la jungle. Naïcel se retint de faire cette remarque, ne sachant pas à quoi s’attendre avec ce soudain changement de la louve. Cependant, on ne pouvait pas chasser de vieux démons aussi facilement. Immédiatement après la fin de l’ordre de mission, la louve arriva avec une bien étrange proposition. Un pari ? Sérieusement ? Cette tradition de toujours vouloir pimenter tout ce qu’elle faisait, c’était l’aspect le plus agaçant de l’Agent. Comme si la récompense de la mission n’étai- Oh !? Cette récompense ! Tous ces Crédits ! Pourquoi cette vulgaire enquête était aussi bien payée ? Dire qu’elle allait devoir le partager avec... Oh ~ oh ?



Trop obnubilée par la montagne de vêtement et de chaussure qu’elle allait pouvoir s’offrir, la moitié féminine de Nashar oubliait qu’elle ne pouvait pas avoir accès à la monnaie présente sur le compte de son tout.

***

Le Secteur H. L’endroit le plus apprécié des Agents. Déjà parce que  c’était ici qu’ils habitaient. Mais aussi parce qu’il contenait les endroits les plus festifs. Andromeda, Dreamy Paradise, salles de jeux, réalités virtuelles, restaurants et autres lieux de loisir. Du divertissement à foison. Mais dans ce Secteur ou les jours et nuits artificiels n’avaient pas de signification qu'ailleurs, il y a avait quelques côtés sombres. Loin d’être rongé par la criminalité, Le Secteur H était tout de même en proie aux agissements de divers petits délinquants. Des ivrognes ayant trop bu aux stalkers qui en profitaient, c’était une zone qui devait être en permanence surveillée. Heureusement, le vaisseau étant ce qu’il était, les délits restaient rares, et peu dangereux. Mais évidemment...



Encore un pervers ivre, à croire que Naïcel avait une cible dans son dos. Non, c’était beaucoup plus précis que cela. À chaque fois qu'elle sortait avec Geleerde, que cela soit dans son monde ou sur HOPE, elle finissait par attirer l’attention d’un ou de plusieurs zigotos. Était-ce les phéromones de la sauvage qui agissaient ? Véritable running gag, les interactions entre les deux femmes et la gent éméchée se finissaient toujours de la même façon.



Un coup dans les chantantes, et s’en était fini. Bien qu’au début, la rouge trouvait cela répugnant de diriger son poing vers cette partie de l’anatomie d’un inconnu, elle fut forcée d’admettre que c’était efficace. L’une des rares leçons de Geleerde qu’elle estimait.



Se tournant vers la louve, Naïcel se demandait si elles allaient devoir encore flâner au hasard longtemps. Cela faisait déjà vingt minutes que les enquêteuses de choc n’avaient commencé leurs investigations, et malgré la dizaine de soulards frappée dans les réacteurs, aucune information utile. Le vétérinaire véreux avait-il des compétences de camouflage ? S'agitant sur place, la belle eut une théorie totalement fascinante. Oh ! Le vétérinaire enlevait surement les animaux pour mener des expériences ! Il s’injectait l’ADN de ces derniers pour obtenir leurs capacités, le rendant aussi difficile à traquer qu’un prédateur ! Mais voilà ! Il ne fallait pas enquêter sur lui, il fallait le chasser. Et ça, Naïcel savait faire. Les yeux pétillants, la rouge se tourna vers Geleerde.

Peu’. Geleerde n’avait décidément aucun respect. Interrompre l’imagination si fertile de Naïcel, un crime à Valice ! Tout l’empire se bousculait pour être témoin des fabuleux comptes de la belle. Plusieurs romanciers se basaient même sur ses histoires pour écrire les meilleurs best-sellers de tout le pays ! Alors de quel droit cette insolente osait ignorer ce qu’elle avait à dire. Et surtout...



La louve interrompue la rouge encore une fois, faisant naitre une veine de colère, non loin des douleurs causées par les pichenettes de Geleerde. Cette garce ! Deux fois à la suite, et elle osait la pointer du doigt maintenant ! Se laissant aller à ses bas instincts, qu’elle jugerait plus tard comme étant l’influence négative d’une sauvageonne sur une princesse, Naïcel tenta de croquer l’index de la louve. Non sans y mettre toutes ses forces, la sensation de sa mâchoire inférieure impactant contre sa mâchoire supérieure lui donna de mauvais frissons. Tss.



Fier de sa pique improvisée, la rouge reprit ses esprits pour réfléchir calmement à la situation. Des disparitions d’animaux, un vétérinaire hors-là-loi qui détenait peut-être des informations, des poivrots ivres morts... Cela ressemblait plus à un épisode de série B qu’à autre chose. Mais aller au bout de ce scénario pouvait être très payant, et l’appât du gain avait déjà joué sur la motivation de la belle. Elle gagnerait, coûte que coûte.

C’est alors que la HOPEWatch de Geleerde enchaina une notification et une matérialisation. Le soudain « oh Bingo » de la louve mit la puce à l’oreille de Naïcel. Elle craignait le pire, déjà qu’elle avait le sentiment de s’être fait voler quelque chose de propre lors de l’exclamation de l’Agente.



Épiant tout de même ce que la brune avait en main pendant sa tirade, la rouge manifesta son agacement par un souffle fort entre chaque phrase. Pourquoi cela lui arrivait !? Pourquoi était-elle celle qui avait hérité de la malchance de Nashar ? Naïcel crisa intérieurement, avant de se calmer de nouveau. Après tout, Geleerde avait bien besoin de quelque chose pour espérer gagner. C’était un handicapé pour la rouge, afin d’être au même niveau qu’elle. Oui, c’était cela. Et puis de toute façon, tout lui souriait. Qui sait, peut-être qu’un indice tomberait de lui-même sous son nez.

Ce qui se produisit immédiatement.

La rouge recula. Tremblotante des jambes, une nausée virulente allait avoir raison d’elle, lorsqu’elle déglutit les cocktails qu’elle avait bus peu avant. Qu’est-ce que c’était que ça ? Le chiffon avec lequel Geleerde ramassait ses crottes pendant ses promenades ? Une vraie puanteur s’en échappait, paralysant toute réplique cinglante de Naïcel. Trop occupée à respirer l’air sain, elle se renifla l’avant-bras, espérant que son parfum préféré, dont elle était aspergée, efface celui de l’immondice. Peine perdue.

Distraite, la moitié de Nashar laissa Geleerde assumer son statut de chienne et disparaitre dans la nuit.



Cela ne sentait pas très bon pour sa journée shopping. Non non non non non! Elle voulait cet argent ! Pour des sacs ! Des chaussures ! Des robes et des cocktails ! Peut-être un ou deux restaurants aussi. Oh ! Et cette bague qu’elle avait vue un peu plutôt en allant au Dreamy Paradise ! Mais par-dessus tout ! Elle ne voulait qu’une chose : vaincre Geleerde ! La faire souffrir ! La faire pleurer ! La faire ravaler sa fierté pour qu’elle s'engrosse avec et gâche sa silhouette prétendument parfaite !

Bien que trouvant cela dégoutant, Naïcel s’assit par terre, en tailleur. Bien sûr, les quelques ivrognes qui avaient retrouvé conscience après la séance de casse-noisette vinrent l’entourer, comme si elle les avait invités à une certaine activité. Mais la rouge ne s’était pas mis ainsi pour récolter l’eau de pluie, mais bien pour localiser Geleerde. Retrouver un inconnu dans tout HOPE était impossible, tant l’endroit grouillait de personne. Mais mettre le doigt sur la position d’une personne à l’aura familière, c’était facile. Concentrant toute son attention, elle retrouva rapidement la piste de Geleerde. La salHOPE ! Elle avait pris énormément d’avance ! Elle le savait en plus : Naïcel n’avait pas accès aux capacités de téléportation de Nashar. Pire encore, elle pouvait bien dilater le temps pour se rendre à un endroit « rapidement », mais elle n’avait pas l’endurance nécessaire pour couvrir autant de distance d’un coup... La louve ne lui laissait d’autres choix.

Naïcel ouvrit les yeux. Ses sourcils se froncèrent en voyant le troupeau d’éléphants devant elle, mais elle décida ne pas en tenir compte pour l’instant. Elle se releva puis se propulsa dans les airs dans le même geste, au moyen de son aérokinésie. Rancunière, elle fit en sorte que la bourrasque fasse tomber son cercle d'admirateurs par là même. La rouge enchaina donc lévitation et propulsion pour essayer de rattraper Geleerde, mais elle savait qu’elle n’y parviendrait pas à temps. Tss.

Après de longues minutes à s’envoyer en l’air, Naïcel observa avec désarroi que l’aura de la brune ne bougeait plus. Elle avait atteint sa destination, vraisemblablement... Non ! Elle ne s’avouerait pas vaincue aussi facilement. Elle piqua vers ce qui semblait être un hangar, pour atterrir près de sa porte principale. Mieux valait pour l’instant rester en retrait.  Laissant de nouveau ses sens externes agir, elle sentit la présence d’au moins une personne aux côtés de la louve. Elle tendit l’oreille, mais ne distingua que quelques mots, qui auraient pu être prononcés par n’importe lequel des protagonistes :


« ...langue... »
« ...entre tes deux... »
« ...pas ici... »
« ...lèche... »


Soudainement prise d’une légère jalousie qu’elle ne voulait pas s'expliquer, Naïcel bondit hors de cachette pour surprendre le couple de personnes. Par pur réflexe, elle s’entoura de lance de glace pointue qui visait vers les deux compères. Ce qu’elle vit dépassa de loin tout ce qu’elle déjà pu voir au cours de sa vie discontinue.

Les mots manquaient à Naïcel pour qualifier ce qu’elle venait de voir. Délaissant la réalité, il ne fallut pas longtemps à la rouge pour reconstituer sa version de l’histoire. La louve devait être en période de chaleur, pendant sa traque, elle avait dû tomber sur cet homme et elle était maintenant là à subir ses attouchements, non sans l’encourager. De là, il n’était pas difficile de placer les mots précédemment entendus dans leur contexte.







Ou pire encore... Naïcel redescendu à la réalité quelque seconde pour revoir la scène. Non, Geleerde ne s’amusait pas, l’expression lubrique qu’elle aurait dû avoir n’était pas présente. À la place, l’homme maintenait fermement l’Agent contre le mur, comme pour là... Oh mon dieu ! Se pourrait-il que...









Par pur réflex, Naïcel lança une de ses piques de glace contre l’Agent. Immédiatement après, la rouge apparut derrière l’homme, qu’elle envoya balader d’une bourrasque de vent. Mais le pauvre était bien loin de subir un simple vol plané. Le bougre dut bien attendre une trentaine de secondes avant de toucher le sol. Secondes durant lesquelles il fut projeter à plusieurs reprises contre le mur et où plusieurs morceaux de glace vinrent à l’écorcher. Le regard Nasharien, Naïcel s’avança près de sa proie. Son coeur ne semblait émettre aucun battement, son corps ne diffusait aucune chaleur, sa respiration paraissait inexistante. Elle n’était que destruction, et l’objet de sa colère peinait à se relever.





Sans qu’il puisse ajouter quoi que ce soit, Naïcel s’effaça de son champ de vision. Une ombre apparut alors au-dessus de lui. Lorsqu’il releva la tête, il ne put voir qu’une culotte, apportant avec elle un talon pointu provenant d’une paire d’escarpins achetés l’après-midi même. S’enfonçant dans son oeil, un léger court-circuit se propagea dans le corps du Solarkien qui en resta paralysé. La rouge revint au sol, bien décidé à trancher la gorge celui qui avait osé essayer de faire du mal à Geleerde. Toutefois, elle ne put le faire, car cette dernière l’interpella. La rouge se retourna, jetant un regard noir, étrangement teinté d’un bleu démoniaque, vers l’imprudente l’ayant interrompu alors qu’elle allait se festoyer.


***



Le malentendu passé, le Solarkien finit par se couvrir l'oeil avec un bandeau. Une chance qu’il en gardait sur lui, au cas où son implant lui faisait défaut. Cependant, malgré que l’épaisse couche de métal ait protégé son cerveau, il ressentait tout de même un picotement dans sa tête. Il allait devoir faire examiner ça. Cette Naïcel ne perdait rien pour attendre. Il allait l’attaquer en justice et exiger le maximum pour ce préjudice ! Jamais dans sa vie il n’avait été autant humilié, et jamais dans sa vie il n’allait obtenir autant en étant dans son droit. Mais pour l’instant, la mission devait continuer.



Naïcel sourit jaune, avant de retrouver son expression habituelle. Nashar allait devoir encore trinquer. Enfin, cela aurait pu être pire. La rouge était bien décidée à tuer le Solarkien, cela leur aurait apporté quelques ennuis. Sans l’intervention de Geleerde, le bleu serait surement dans une prison à son retour.

Naïcel n’écoutait pas l’échange entre l’Agent Solarkien et Geleerde. Elle était beaucoup trop occupée à se questionner. Pourquoi avait-elle encore réagi ainsi ? Pourquoi se sentait-elle obligée de venir au secours de la louve lorsqu’elle la sentait menacée ? N’était-ce pas plutôt un comportement de Nyris ? Le jeune homme avait le profil du chevalier blanc, prêt à défendre veuve et orphelin au péril de sa vie, si cela ne dérangeait pas son quotidien tranquille. Mais elle ne ressentait en rien cela vis-à-vis des autres personnes. Elle pourrait voir un groupe d’enfant se faire écraser par le postérieur d’un Val’Ka sans ressentir l’envie d’aller les sauver. Alors, pourquoi agir de la sorte ?

Refusant d’admettre qu’elle n’avait agi que pour sauver Geleerde, la rouge s’embourba dans une profonde réflexion sur la répartition des émotions de Nashar. Sa théorie actuelle, qui la plaçait en héritière du côté adulte du bleuté, ne tenait vraisemblablement plus la route. Cette division d’âme était problématique, et elle se doutait qu’il n’y avait qu’elle pour s’en inquiéter. Nyris était beaucoup trop simplet pour réfléchir à ce genre de chose, et l’Empereur n’y trouvait surement rien à redire, tant qu’il pouvait vivre sa vie de mage ultra-puissant. Il n’y avait qu’elle pour essayer de trouver une réponse à l’énigme de la fragmentation d’âme.

Pensif, Naïcel finit par écouter les propos de l’Agent Solarkien, d’une oreille distraite. Ainsi donc, les missions se recoupaient. Cela voulait dire... Une plus grande récompense à la fin ? Assurément. Retrouvant pieds dans le présent, la rouge chassa les derniers ersatz de pensée liés à son intervention pour porter son attention sur l’homme. Il avait un plan.


***



Nope. Naïcel ne s’adonnerait pas à de telles pratiques. Elle, la pure et innocente jeune femme, ne ferait jamais semblant d’être en couple, et encore moins avec un cloporte de la plèbe. Elle ne cherchait pas vraiment l’amour, mais elle ne voulait pas être associée avec quelqu’un qui ne lui plaisait pas, aussi factice que cette relation puisse être. Le plan de D. Brando était voué à l’échec, jamais elle n’y participerait, aussi énorme soit sa dette envers lui.



La rouge accepta. Dépitée, elle alla se mettre dans un coin. 90 000 mille crédits, quasiment l’équivalent de l’ensemble des dettes de Geleerde et de Nashar au Dreamy Paradise. La récompense elle-même ne suffirait surement pas à tout rembourser. Cet être répugnant lui faisait du chantage... Peut-être même qu’il continuerait après cette coopération ? Oui, c'était fort probable. Ce corbeau allait surement ramener la somme mirobolante à chaque fois, et exiger des « services » en retour. La pauvre, pour le bien de Nyris, Nashar et de Favaro – surtout son porte-monnaie -, serait obligé d’obéir âme et corps aux exigences de ce pervers. Un jour, il lui ordonnerait surement de commettre l’indécence ultime et elle, pure et innocente, ne pourrait faire autrement que plongé dans cet abysse de luxure. Oui, elle succomberait aux mains scabreuses du maitre chanteur et deviendrait l’esclave de ses envies, perdu entre plaisir et honte, désir et moral. La belle passerait ses journées à suivre son maitre, à obéir à ses caprices, jusqu’à ce qu’un jour, il ne décide de la parta-...

Des doigts vinrent couper court à ses « inquiétudes ». Caressant ses joues, ils diffusaient une douce chaleur qui se répandit immédiatement dans le corps déjà chaud de la rouge. Elle ne se rendit compte de l’identité de celle qui attouchait à sa pudeur que lorsqu’elle vit les yeux rouges de Geleerde se plonger les siens. Aussitôt, le coeur de la belle rata plusieurs battements, ce qui se traduisit par de fines gouttes de sueur sur son front. Chatouillé de toutes ses lèvres, Naïcel déglutit, ne sachant pas comment réagir. Certes, son premier réflexe allait être de repousser violemment l’Agent, mais son corps se refusa à bouger. Trop confuse pour reprendre le dessus, elle ne n’eut d’autres choix que de se laisser faire. Vint alors le moment de la phrase.

L’expression de la rouge perdit tout comparatif. Que venait-elle de dire ? Pourquoi ? Naïcel, dans la profusion d’émotion qui se battait dans son cerveau, reconnu de la joie, de l’aversion, du soulagement et de la honte. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Pourquoi ressentait-elle autant de choses face à ses simples mots ? Pourquoi sa peau, d’habitude si parfaite, devenait-elle aussi rouge que les yeux de la louve ? Ces insistantes questions poignardaient la psychée de la rouge, mais furent totalement balayées par la suite des évènements.

La bête attrapa le menton de la belle. Si elle fuyait son regard depuis le début, elle ne pouvait soudainement plus y échapper. La seule fois où elle réussit à s'en détourner, ce fut pour admirer le conteur de la bouche de Geleerde, qui semblait vouloir se coller contre la sienne. Son souffle vint se mélanger au sien, faisant augmenter de plus belle sa température corporelle. Brusquement atteinte de grelottement, la rouge éprouva des difficultés à rester debout. Seul le mur l’empêchait de tomber, ce qui aurait fait aussi chuter l’Agent brune sur elle. Cette simple pensée décupla les sensations qu’elle ressentait, si bien qu’elle se surprit à vouloir le détruire.  Ces sentiments, qu’elle expérimentait à ce degré pour la première fois... Qu’étaient-ils ?

Musique

La rouge sembla s’effacer, elle n’était que prison pour des pulsions inavouable et lancinante. Mais un geôlier, part d’elle-même, l’empêchait d’ouvrir les portes de ce pénitencier salvateur. Car elle le savait. On ne pouvait faire confiance à qui que ce soit. La suite des évènements le prouva aussi tôt. Geleerde lâcha sa prise, afin de montrer à D. Brando l’expression de la rouge. L’acte fut terminé, et Naïcel comprit quel rôle elle avait eu. Celle d’une vulgaire jument, qui réagissait à la carotte qu’on lui tendait.

Geleerde...  Geleerde... Geleerde. Geleerde. Geleerde. Geleerde. Geleerde. Geleerde. Geleerde. Geleerde.  Geleerde. Geleerde. Geleerde. Geleerde ! GELEERDE !



Les larmes aux yeux, Naïcel se mit à envoyer plusieurs morceaux de glace sur la louve, chacun plus gros que le précédent. D. Brando s’écarta instinctivement, n’ayant pas envie de faire de nouveau les frais des crises de l’hystérique. Mais à l’étonnement général, la rouge se calma bien rapidement. Essoufflée, elle sécha les larmes qui avaient déjà commencé à s'évaporer sur ses joues brulantes de déception. C’était de sa faute. Son don pour la fiction avait exagéré les évènements et ses ressentis. C'était de sa faute. Elle s’était piégée elle-même dans tout cela, cédant peu à peu à son imagination débordante. C'était de sa faute. Geleerde. Resterait Geleerde. Elle ne devait pas en attendre plus. Pour ce qui est de qu’elle pensait elle.



Hurla-t-elle pour mettre fin à la pièce.


***

Après ces évènements, la rouge s’était isolée pour retrouver son état initial. Une méditation rapide, et une vague de froid parcourant son corps eurent quasiment raison de ses déboires. Mais ce n’était pas quelque chose qui allait disparaitre aussi facilement. Ce fut D. Brando qui vint récupérer la belle. Sans dire un mot, Naïcel enroula son bras autour du sien, signe qu’elle allait coopérer. Ne se doutant en rien des enjeux de l’altercation, le Solarkien conclut avec un simple :