Fanatisme

C’était un véritable duel de regard que Balki et moi partagions. Posée sur une roche en face de mon siège improvisé, la buse me fixait sans dire un mot. Depuis notre “rencontre”, pour ainsi dire, elle était tout de même restée très silencieuse. Selon l’Ombre, elle ne nous appréciait guère, ce que j’avais deviné assez rapidement. Cela devait être parce qu’il y avait déjà quelque chose en moi, donc fusionner avec moi et partager l’endroit avec une créature immatérielle, je comprenais que ça pouvait frustrer. Ce n’était qu’une question de temps avant que cet oiseau ne s’y habitue, pensai-je alors, un peu naïve.

Balki avait beau être une petite buse, elle avait une fierté comparable à celle d’un lion. Je rajouterai qu’elle me paraissait être du genre très solitaire. Normal pour un rapace, me direz-vous. Mais ça ne faisait pas un coéquipier très agréable. Il fallait croire que nous étions plus compatibles que nous le pensions, car, si j’avais bien compris les explications fournis lors de mon entrée dans la meute, j’aurai tôt fait de changer d’animal de fusion.

De son côté, l’Ombre était très absente, comparé à ce dont j’avais l’habitude. Elle continuait à réfléchir à un moyen de s’étendre et de trouver de nouveaux hôtes. Mais comme nous l’avions appris, les phénomènes qui régissaient ce monde et les énergies qui en était la source troublait grandement la créature. Il semblait que très peu des habitants de Néfyria était compatible avec l’hôte, ou, du moins, avait des résistances trop important pour permettre son bon développement. J’étais un peu stressé à l’idée que cela représentait : j’étais le seul hôte accessible avant une longue attente. Nous n’avions plus qu’à espérer que les trois autres mondes mentionnés dans les explications seraient plus propices. Après, l’Ombre semblait se porter comme un charme dans mon corps seul. La seule chose était qu’elle ne disposait désormais de moins de puissance de calcul et d’une source d’énergie bien plus faible. Rien d’alarmant, mais j’aurais été rassuré de convertir un ou deux hôtes en cas d’extrême urgence.

Mais trêve de digressions, il fallait que je me concentre. J’avais été envoyé à côté de ces ruines pour accomplir ma première mission dans la meute. On m’avait expliqué qu’un individu allait venir ici pour explorer les lieux et qu’il fallait que je l’accompagne et que je garde un œil sur lui. Il n’était pas une personne dangereuse, mais je comprenais qu’il était préférable d’accompagner quelqu’un pouvant avoir ou causer des problèmes. Si j’avais bien compris, il appartenait à une organisation interplanétaire nommé Hope, qui était dans une mauvaise passe ces temps-ci. Quoi qu’il en fut, ce n’était pas la première fois qu’il venait sur Néfyria et la dernière fois sur un incident qui semblait sérieux, de ce que j’en avais entendu. Je manquais d’information, mais je me disais que j’allais avoir bien assez de temps pour lui poser directement des questions.

Ce fut l’Ombre qui attira mon attention sur l’homme qui venait d’arriver dans la zone. Il ne m’avait pas remarqué. Et vu son comportement, je me demandai même si on l’avait informé que quelqu’un l’attendait à cet endroit. Balki retourna en moi alors que je quittai mon siège et je me dirigeai en trottinant vers l’individu. Une fois à bonne distance, une quinzaine de mètres nous séparant, je décidai de l’interpeller :
- C’est vous, Jason Ashfield? Je m’appelle Lana. La meute m’a chargé de vous accompagner dans ces ruines.

L’Ombre était un peu agité face à cet individu. À l’intérieur de ma psyché, je la sentais s’activer et faire fuser les réflexions. Elle devait analyser le brun qui se tenait en face de moi sous tous ses angles. C’était une de ses habitudes, normalement pour savoir quel type d’hôte il pouvait être, mais ici, c’était probablement pour en apprendre le plus possible. Nous avions très rapidement appris en arrivant sur Néfyria que très peu de chose serait similaire à Almeth, il fallait être préparé à tout désormais. L’Ombre me fit pars de ses remarques :
- Je détecte un cristal. Comme Yagleadra, il y a trop d’interférence pour qu’il soit compatible à devenir un Hôte. Je détecte aussi beaucoup de technologies inconnues.
- Dois-je te présenter ?
- Ayons des réserves pour le moment. Je ferai mon introduction si cela est nécessaire.

Jason semblait être du genre sérieux, peut-être un peu trop, car il ne me paraissait pas très amical. Que notre premier échange de regard se fasse alors qu’il pointait ce que j’avais supposé être son arme ne m’avait pas donné envie de me détendre à ses côtés. Je pouvais le comprendre cependant, car il était clair, comme il me l’avoua, qu’il n’avait pas idée que la meute allait envoyer quelqu’un pour le surveiller. Il avait d’abord été plutôt contre ma présence, mais avait finalement finis par l’accepter, tant que je n’étais pas une gêne. Dans tous les cas, s’il m’avait demandé de partir, je ne lui aurai pas obéi. Je n’allais quand même pas contredire les ordres de mes supérieurs actuels.

Quand il me tendit une lampe torche, je l’acceptai sans résistance. Si l’Ombre était capable de détecter la présence de beaucoup de choses, ne pas entièrement dépendre d’elle pour me repérer était une excellente idée. Nous oublions sans cesse que nous nous trouvions dans un environnement qui nous était encore trop étranger. Et puis, ça allait me permettre de ne pas attirer trop l’attention sur moi. Je sentais bien que Jason ne me faisait pas confiance L’Ombre tenta de me rassurer :
- Cet Ashfield n’a pas de mauvaise intention, mais je le sens méfiant. C’est normal de la part d’un organisme sujet à l’inconnu. Il a l’air suffisamment adulte pour mettre de côté ses craintes pour privilégier la coopération pour le moment, profitons-en.

J’acquiesçai mentalement et suivis l’agent de Hope dans les ruines souterraines. Sur Almeth, je n’étais jamais vraiment sorti de ma demeure d’Hôte Centrale, donc c’était la première fois que je pouvais visiter des lieux aussi intéressants.
- Je me porte comme un charme, répondis-je à l’interpellation de mon nouveau partenaire.C’est impressionnant ce qu’on peut trouver sous terre.

Durant ce long après-midi, je n’avais pas grand-chose à faire. À chaque nouvelle salle, je me mettais dans un coin, surveillant les alentours et proposant mon aide de manière régulière. L’Ombre analysait les alentours et m’affirmait ne détecter aucun champ électromagnétique anormal, ce qui aurait indiqué la présence de quelque chose de potentiellement vivant ou digne d’intérêt. J’étais donc plutôt tranquille et en même temps assez ennuyé par n’avoir rien à faire.

Le soir venu, nous étions retournés à la surface pour monter le camp et se reposer. Yula, de ce que la meute m’avait expliqué, était un lieu sacré où la paix régnait en maître, donc les risques de se faire attaquer dans notre sommeil étaient nuls. Au-dessus de nous, le ciel nocturne faisait enfin son apparition. Couché contre un tronc, je l’observai attentivement, cherchant si, quelque part, il y avait une trace d’Almeth. Entre deux morceaux du lard que je mastiquai, je me risquai à poser une question personnelle à Jason:
- De quel genre de monde venez-vous?

L’Ombre non plus n’avait rien à faire. Elle ne s’ennuyait pas, c’était un concept qui lui était étranger, mais elle ressentait encore une certaine frustration à ne pas trouvait d’autres hôtes. Je la comprenais parfaitement, il en allait de sa survie de s’étendre le plus possible. Et je n’allais pas dire que ce n’était pas bénéfique pour toutes les espèces qui l’acceptaient à bras ouvert. Mais à Néfyria, tout individu semblait surtout et avant tout être relié à la planète elle-même. Ces énergies étranges et indescriptibles, qui flottaient dans l’air, n’avaient rien de comparable par rapport à tout ce qui nous croyions être naturels. Mais Jason était, à bien y réfléchir, très différent des autres personnes que nous avions rencontrées jusqu’alors. Certes, il avait lui-aussi un cristal qui émettait des interférences, mais peut-être que si l’Ombre employait des tactiques un peu plus agressives pour entrer dans le système nerveux du jeune adulte, il n’y avait que de faible chance que cela fonctionne, mais c’était un coup à tenter. Ce qui était probable, par contre, c’était que Jason se rende compte de ce que l’Ombre allait tenter.

Elle était prête à prendre ce risque. Si elle l’était, je l’étais aussi. Je devais me préparer à donner une explication. Avec un peu de chance, il comprendrait que l’Ombre n’avait pas de mauvaise intention. Utilisant la présence de métal conducteur dans le sol, l’Ombre s’étendit jusqu’à l’endroit où se trouvait le brun et tenta d’influencer le champ d’interférence pour trouver un point d’entrée. L’influence électromagnétique qu’elle avait commençait à soulever un petit nuage de poussière du sol. Avec le peu de luminosité, c’était difficilement visible, mais cela pouvait être un indice pour Jason s’il était plus attentif que nous le pensions. Et puis, rien n’empêchait qu’il soit lui-même sensible aux variations de champ magnétique, auquel cas l’agent remarquerait rapidement que quelque chose était en train de se produire autour de lui.