Les premiers rayons de lune caressent l’horizon sous le regard affûté de la daemon. Ce moment est bien celui qu’elle préfère : les proies sortent, à la merci de ses serres et de son bec fuselé. Le vent fait vibrer son plumage alors qu’elle plonge en piqué et attrape de justesse un rongeur qui n’existe dans aucun monde qu’elle et Mylo ont visité. Sa griffe le déchiquète, achevant l’animal. Non pas que sa moitié ne lui prépare pas de quoi se sustenter, juste que la chasse lui permet de rester vive et alerte. Et puis, ce n’est pas si mauvais. Un goût similaire à une souris, quoi qu’un peu plus faisandé. Des os plus épais. Un son différent -
depuis quand les sons de Cirr Tyly sont devenus ma réalité ? songe Meörow - lui fait relever la tête et abandonner le petit cadavre déjà bien entamé. Elle s’envole, silencieuse, alors que ses yeux, deux billes luisantes et presque phosphorescentes à la lueur -toujours faible- lunaire qui épouse les lieux. C’est à l’orée du village, là où les arbres se font plus fournis, qu’elle discerne le plus facilement l’anomalie. La poussière s’agite, mais elle est maladive, tendant à disparaître à chaque mouvement de l’être qui semble vouloir rejoindre la civilité, ou ce qui s’en rapproche sur Néfyria. Se posant sur la branche mi-haute d’un arbre maison, elle retire une petite feuille coincée entre ses plumes avant de reprendre son observation. Elle se demande qui peut arriver là et pourquoi son essence de vie paraît si fluctuent. Sa curiosité n’est rien de plus que ce qu’elle est, et par là elle sait qu’elle est plus pondérée que son humaine. Pourtant, leur intuition est presque infaillible et là, l’oiseau qui n’en n’est pas vraiment un sait qu’elle doit attendre de voir ce qu’il se passe avant de reprendre le cours de sa nuit.
Elle plonge rapidement, allant sur une branche plus basse, et là, elle ne peut plus rien louper, oui, et aussitôt, elle décolle encore. Cette fois pourtant, plus aucune hésitation, plus aucun tâtonnement. Comme un peu plus tôt, si tôt, lorsqu’elle avait fondu sur tel un bourreau sur son repas du soir. Sur son trajet de vol, elle croise Kelpie partit lui aussi chasser, et dès qu’il remarque l’animâme de sa fusionnée, il s’ébroue et la suit au galop, jusqu’à rejoindre la passerelle que chacun de ses sabots ébranlent jusqu’à ce qu’enfin, les deux parviennent à la demeure de Mylo, dont le sommeil pour une fois n’a pas joué les fuyards.
La porte est battante, elle s’ouvre sans problème. Pour une fois, c’est Meörow qui arrive plus vite que Kelpie et Mylo, ressentant les émotions violentes de sa daemon plus qu’elle n’entend son petit cœur affolé, se réveille en sursaut.
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Pas assez endormie pour me trouver groggy, je remets facilement les lieux et relâche la baguette que j’ai inconsciemment serrée entre mes doigts.
— Que se passe-t-il ?, un coup d’œil à l’un, puis à l’autre
Meörow qu’as-tu vu ?
— Une blessée, à l’orée, vite, prend ce qu’il faut, elle n’a pas l’air bien. Je… Je ne sais pas si…
— Pas de temps à perdre, coupe Kelpie en me poussant d’un coup de chanfrein.
Pas de temps à perdre, je pose ma main à son menton, juste un contact, bref, une volonté ensuite, bien plus puissante. Le temps d’une respiration et déjà, je me mets à courir
nous nous remettons à courir. Mes cheveux laissent une traînée d’eau derrière moi. Meörow
nous guide. Chacune de mes foulées se fait plus large que la précédente. Et si nous arrivions trop tard ? À ma hanche claque à chaque mouvement une besace large. Peu de chose, de quoi bander, quelques pansements frais et des petites fioles pour la douleur. Lorsque je pouvais me passer de mon don, je le faisais. Pour ne pas bouleverser l’ordre.
Certaines choses doivent vivre, d’autre mourir. Chacun a son cycle, Mylo, et le sien touchait à sa fin. Je secoue la tête. J’écarte le souvenir et dès lors que j'aperçois la silhouette plus rien n’obstrue ma pensée. Je défusionne et Kelpie me regarde, surpris, secouant la tête et sa crinière au passage.
Prépare-toi à aller chercher de l’aide. Au cas où.Où à me venir en aide directement, si jamais la créature réagit mal. Je ne le dis pas. Il le sait. Je suis beaucoup plus douce dans mes mouvements, faisant en sorte d’être en vue. Je suis là pour aider, et rien dans mon attitude ne laissera déceler ne serait-ce qu’une once d'hostilité.
— Tout va bien ? Mon amie vous a vu. Je suis là pour vous aider.Beaucoup d’assurance dans ma voix. Inutile de tourner autour du pot. J’attends sa réaction avant d’agir, embrassant son corps du regard pour commencer ma propre analyse. Déjà, je sens le bout de mes doigts picoter, comme si mon don n’attendait qu’une chose : être utilisé.