Un craquement. Deux craquements. Trois craquements...
Les doigts organiques de Dextra courraient le long de leurs contreparties synthétiques, les faisant grincer et craquer à cinq reprises, avant de les réinitialiser. Ce petit rituel se répétait, encore et encore, pour la maintenir concentrée et éviter que ses sens ne s'affolent au contact de son environnement immédiat. Du monde. Beaucoup trop de monde. Si elle y prêtait attention un seul instant, toutes leurs voix risquaient de résonner dans son crâne et le lui faire imploser. Les ignorer devenait de plus en plus difficile. Devant et derrière elle, la combattante entendait les claquements de langues et soupirs agacés de ceux que ses petits jeux titillaient du mauvais côté. Mieux valait pourtant pour eux qu'elle n'arrête pas. Depuis son arrivée à HOPE, Dextra avait déjà été débordée par la population et l'abondance sensorielle de cette environnement nouveau. Et cela n'avait pas été joli à voir.
Depuis, la nouvelle recrue avait beau s'habituer progressivement aux sons, lumières vives et bousculades de la station, elle était encore loin de se sentir en confiance. Si elle avait le choix, elle serait encore enfermée dans sa cellule, à l'abri de l'extérieur et lui épargnant le danger qu'elle était. Ce n'était cependant plus possible, du moins pas si elle voulait que l'on prenne sa candidature au sérieux. Et c'était ainsi qu'elle se risquait, pour la première fois sans accompagnateur, dans le dédale de métal de cet étrange bastion. Maintenant qu'elle était au cœur de la tourmente, elle regrettait amèrement ce choix.
Les files d'attentes, ça n'existait pas de par chez Dextra. Sa planète désertique et partiellement peuplée n'avait pas le loisir de perdre ainsi du temps. Aussi, rien n'aurait pu la préparer à l'aura mortifère et emplie de frustration qui semblait se répandre parmi tous ces pauvres bougres, alignés les uns derrière les autres comme des animaux partant à l'abattoir. Les êtres qui l'entouraient regardaient autour d'eux d'un air rageur, s'énervant pour un espace trop grand, un pas de trop ou de moins. La tension était parfois telle que la nouvelle arrivante se demandait comme tous ces gens faisaient pour ne pas en venir aux mains. D'un autre côté, la présence des robots de sécurités devait aider un peu... C'était rassurant. Et dissuasif. Assez paradoxal, du moins aux yeux de Dextra.
Cette dernière en aurait bien eu besoin, d'une présence rassurante. Cependant a présent qu'elle était "installée", ses deux "garants" habituels étaient repartis en mission. Pour s'occuper entre les tests physiques et mentaux destinés à évaluer ses capacités d'agents, Dextra avait entrepris de bidouiller les quelques armes et artefacts qu'elle avait ramené de chez elle. La majeure partie était cependant resté depuis son arrivée sous scellée, dans le spatioport commercial, afin de procéder à quelques vérification. Pour les récupérer, la femme scarifiée avait principalement compté sur son nouvel ami, "Ooma"; l'Intelligence Artificielle que Myalia lui avait programmé. S'il y avait bien une chose qu'on pouvait reconnaitre à ces petits esprits, c'est qu'ils pouvaient gérer les paperasses et les formalités de cette cité bien plus vite que Dextra ne le pourrait jamais. Pour elle, c'était une malédiction venue du ciel.
Il y eu une sonnerie qui fit sursauter la géante, interrompant son fil de pensées. Sans s'en rendre compte, elle était arrivée au bout de la file d'attente à quelques pas du comptoir de retrait des marchandise où l'attendait un homme chauve aux airs patibulaires. Avançant prestement, mais la démarche un peu raide, Dextra alla se poser devant lui, l'air hésitante. L'homme arqua un sourcil, attendant visiblement quelque chose d'elle. Frappée par une réalisation, l'étrangère se raidit et leva prestement sa montre. Ooma l'avait prévenu. Elle avait besoin d'un numéro pour retirer son colis. Allumant l'écran holographique de sa HopeWatch, Dextra navigua quelques longues secondes sur cet outil qu'elle maîtrisait à peine. Luttant ensuite pour faire sortir les mots de sa gorge, elle redoubla d'efforts pour ne pas se tromper.
« Commande S. Z... 4... 8... 7... 7. 5... »
« Ecoute ma grande, y a encore beaucoup de monde qui attend derrière toi. Tu pourrais accélérer, ou bien simplement me montrer le numéro? »
« P... Pardon. »
Toute penaude, Dextra fit basculer son poignet pour que le fonctionnaire puisse voir la référence de sa commande. L'air empli de pitié qu'il lui adressa en la voyant ainsi se démener avec cette technologie qu'elle ne connaissait pas fit naître une pointe de douleur au fonds de sa poitrine. Ce sentiment amer resta coincé dans sa gorge, pesant, alors que l'homme manipulait ses propres commandes pour rechercher sa cargaison. Avec son œil fixé vers le sol, elle ne remarqua pas immédiatement son expression changer, ses sourcils se froncer. Ses mains s'immobilisèrent. Finalement, sans rien lui dire, il se leva et se dirigea vers l'arrière de son comptoir, de l'autre côté d'une porte qui se ferma automatiquement derrière lui. Malgré l'épaisseur du métal qui les séparait, Dextra entendit sa voix s'élever de l'autre côté, envoyant des questions à la criée. Pendant plusieurs minutes, la recrue fut laissée livrée à elle-même, perplexe quand à la normalité de cette opération. Peut-être était-il allé chercher sa commande lui-même? C'était ce qu'elle espérait. Cependant, lorsque l'homme revint, ce fut avec les mains vides, et un air soucieux sur le visage. Son comportement avait changé du tout au tout. De l'agacement et de la pitié qu'elle avait lu dans ses yeux un peu plus tôt, il ne restait rien. Dextra n'y lisait à présent plus qu'un air gêné.
« Je suis désolé Madame, il y a visiblement une erreur dans le registre. Votre commande est bien notée comme étant arrivée, mais elle est introuvable dans le stockage. On a déjà eu quelques bugs de ce genre à cause de l'affluence de marchandises ces derniers temps. Les gars de la douane finissent toujours par retrouver les chargements manquants cependant. Vous devriez leur rendre une visite. Bien sur, pour nous excuser de la gêne occasionnée, une réduction a été affectée à votre compte et sera appliquée sur vos prochaines commandes! »
« Art... Ob... Perdus? »
« Euh... Oui, c'es ça, ils sont perdus. Mais ne perdez pas espoir. Les hommes de la douane l'ont peut-être déjà retrouvé? »
Dextra voulu articuler quelques mots, mais ceux-ci bloquaient dans son esprit, se bousculant en une série de syllabes que ses lèvres ne parvinrent pas à suivre. Les quelques sont incompréhensibles qui en résultèrent ne firent qu'ajouter à la confusion du gros bonhomme en face d'elle. Perdant patience, la femme finit par suivre les instructions qu'on lui donnait. Lui ayant pointé la direction des douanes, le fonctionnaire de HOPE la poussa gentiment vers la sortie pour qu'il puisse continuer à s'occuper de cette interminable file d'attente. Une fois dehors, libérée de son tourment mais en proie à un nouveau, Dextra hésita sur la marche à suivre.
Cette cargaison était quelque part ici, c'était certain. Lorsqu'elle était partie de Strezia, sa planète natale, avec ses deux "recruteurs", ces derniers l'avaient aidé à placer dans un large container métallique l'intégralité de son stock de reliques, des objets qui sur son monde avaient une valeur inestimables (et pour certains, des pouvoirs qui allaient avec. On lui avait assuré que ces objets ne risquaient rien dans les entrepôts de HOPE. Si elle avait su, elle aurait insisté pour les conserver en permanence sur elle. Maintenant, il allait de son devoir des les retrouver. Elle avait beau être devenue une recrue de HOPE, son vœu passé de Sœur du Calice restait en vigueur. Elle devait trouver et protéger ces artefacts. Eviter qu'ils ne tombent entre des mains indignes.
Mais comment faire? Elle n'était qu'une femme étrangère au milieu d'un vaisseau gigantesque qu'elle ne connaissait qu'à peine. Les quelques contacts qu'elle avait étaient indisponibles, et jusqu'ici à chaque fois qu'elle s'était risquée à s'aventurer seule en terre inconnue cela n'avait fait que causer des problèmes, à elle, ses amis, et les habitants de ce monde. Tout ce que Dextra avait à son avantage, c'était qu'elle était surement la seule à connaitre réellement les effets et pouvoirs de ces artefacts sur la station. Chose qui, sans les avoir entre ses mains, ne l'avançait pas à grand chose. Sans doute cet homme avait-il raison. Elle n'avait plus qu'à espérer que les autorités de la station parviennent, comme pour ces autres marchandises, à les retrouver dans un coin oublié... Mais cela était-il réellement sa seule option. Dans un coin de l'esprit de Dextra, une autre idée était en train de prendre le pas.
« Non... Plus simple. Ooma. »
« Présent, Recrue Dextra. »
« Traces. Pierre ... de S-... sang. Trouver? Où? »
« La composition de ce minéral de votre monde natal ne figure pas dans les bases de données de HOPE. En rechercher des résidus est impossible sans élément de référence. »
« ... Bras? »
« Ah, oui. Effectivement. L'échantillon composant votre bras artificiel pourra faire l'affaire. Donnez-moi quelques instants. »
L'Intelligence Artificielle qui était apparue sous sa petite forme à son poignet, de sa voix haute perchée aux intonations robotiques, commença à analyser le bras gauche de sa gardienne. Celle-ci, qui avait passé énormément de temps à étudier sa HopeWatch et à compulser l'immense base de données se trouvant à l'intérieur, avait déjà testé le scanner intégré et pensait pouvoir l'utiliser pour retrouver des traces du matériau composant ses prothèses. Elle en avait, par chance, plusieurs de rechange dans la cargaison disparue. Comme Ooma l'avait souligné, c'était un matériau plutôt exotique ici. Sa signature devait être unique sur la station. Pour peu qu'elle retrouve une piste, il devait lui être possible de remonter jusqu'à l'endroit où ses possessions avaient été égarées.
Un signal sonore s'activa. Devant l’œil unique de la combattante, une lentille holographique se matérialisé, repeignant son environnement en rouge luisant. D'après Ooma, les traces de pierre de sang seraient affichées en surbrillance. Rodant autour des entrepôt, Dextra finit au bout de quelques dizaines de minutes à repérer une entrée. Son idée, à l'origine, était de s'introduire à l'intérieur pour examiner si sa caisse avait été mal rangée. Quelle ne fut pas sa surprise cependant de voir de légères traces fluorescentes sur son scanner, partant de cette porte pour s'enfoncer ailleurs dans les allées du spatioport. Ses affaires avaient été sorties et amenées ailleurs? Allons bon. Un complication. Mais qui avait ses avantages. Au moins elle n'aurait pas à passer la sécurité qui semblait garder l'entrepôt.
Dextra suivit la piste, une fine poussière qui par endroit disparaissait pour reparaître un peu plus loin. Les personnes qui avait transporté le chargement avaient dû avoir un voyage un peu mouvementé, pour ainsi secouer le container au point d'en faire tomber des particules. Petit à petit, les habitudes de chasseuse de la Strezienne reprirent le dessus, et comme lorsqu'elle traquait les bête sauvage de sa planète natale elle suivit cette piste avec discrétion et rapidité. Son enquête arriva cependant dans une impasse. Littéralement.
Devant elle se tenait un mur, vers lequel les traces de pierre de sang semblaient mener pour finalement disparaître brusquement. Dextra fit plusieurs fois le tour des environs pour voir si la traces réapparaissait un peu plus loin, mais ce fut sans succès. Quelqu'un avait-il effacé les traces? Avaient-ils un véhicule qui les attendait ici? Perplexe et perdue, la recrue poussa un profond soupire avant de s'accroupir au sol, l’œil dans le vague, à fixer les traces de poussières comme si elle espérait qu'un plan allait s'y dessiner.