Parfois, le destin s'acharne contre vous.
S'accrochant à votre peau, votre échine, il se délecte de votre souffrance, de vos décisions, de vos actes. Tel un Dieu bourreau observant depuis son piédestal les pauvres fourmis grouillantes sur sa création, il assiste en première loge le jour où vous sombrerait dans le néant. Pour le cas de Geleerde, revoir les traits de son père fut une épreuve de taille. Quand bien même s'agissait-il là d'une illusion, le souvenir de Zangetsu restait intact comme au premier jour, là où elle l'avait laissée. Pourquoi la marionnette l'avait-elle délibérément choisie, lui ? Pourquoi pas sa mère, ou ses frères cadets ? Ceux pour qui elle avait acceptée une éternité de souffrance, d'une vie de parjurée. Pourquoi... Lui ?
Parfois, le destin s'acharne.
Lui qui n'était désormais plus qu'une ombre dans le dos de la louve. Lui, dont la main fantôme sur son épaule était toujours aussi pesante, oppressante à chaque instant. Lui, pour qui elle aurait offert tout ce qu'elle avait de plus précieux pour ne serait-ce qu'entrevoir un brin de fierté dans la lueur de son regard quand il lui faisait face. Lui... Pour qui elle vouait une admiration sans pareille, une dévotion sans limite... Jusqu'à ce jour où leur chemin furent séparé.
Parfois... Le destin éclate.
* * *
Reprenant peu à peu ses esprits, Geleerde s'en était finalement retournée vers Harall. Aussitôt, l'estrade devant elles trembla de toute part, laissant découvrir une étrange boite en son centre. Sourcils froncés, la louve l'observa sans un mot avant de soudainement pester devant l'apparition de la moitié d'homme. À la demande de la Déesse des Plaisirs, le maboul énuméra les raisons de son acte, non sans ouvertement manifesté son allégresse. Encore un taré parmi tant d'autres. Il avait osé jouer avec les souvenirs du duo, les matérialisant, les façonnant à la juste image qu'elles gardaient toutes les deux en mémoire. Mais tout comme Harall, l'indomptable n'avait aucun plaisir à l'idée de se battre contre lui. Un fou resterait toujours un fou. À quoi bon lui accorder du temps ?
— C'est donc toi l'auteur de toute cette merde ambulante.
Bras croisés contre sa poitrine, une certaine satisfaction vint s'étreindre de son esprit lorsque la Déesse porta son poing en plein visage du Jack in the box. Toutefois, elle fut consternée que sa partenaire allait simplement se contenter d'assommer l'homme et attendre que les pauvres âmes soient libérées de son emprise.
— Pourquoi devrions-nous nous montrer clémente pour un homme qui n'éprouve aucune pitié.
Tuer était simple. Une option facile, accessible à n'importe qui. Main tendue en direction de l'estrade et expression neutre sur le visage, une mèche rebelle vint obstruer un instant son œil droit tandis que le temps semblait s'être arrêté.
Tuer était... Si simple. Si facile.
— Yare yare.
Subitement, le bras de l'hybride se relâcha, pendouillant sur le côté. Non. La Brume ne voulait pas lui. Lentement, elle porta son attention vers Harall avant d'extirper de la poche de son veston une cigarette. Dans un même temps, la Déesse des Plaisirs cru nécessaire de lui présenter des excuses, ce à quoi l'hybride se contenta d'un simple revers de main, comme pour chasser l'air ambiant autour d'elle :
— Pas la peine. Les emmerdes, c'est naturel chez moi aussi.
Cigarette désormais allumée, elle inspira une longue bouffée du bâton de mort avant de porter un demi-sourire carnassier à sa partenaire :
— En revanche, si tu veux vraiment te faire pardonner, je ne serais pas contre pour une bière.
Que le rideau de ce théâtre morbide prenne place. Il était temps que ce calvaire se termine... Jusqu'au jour où il se répétera à nouveau.