Dextra se sentait... étrangement à l'aise.
Depuis que les alertes avaient commencé à retentir pour signaler le danger qui pesait sur HOPE, la Recrue était restée plutôt stoïque. Elle était surprise et intriguée, certes, mais nullement affolée, ni même inquiète. Peut-être était-ce là des vestiges de sa vie passée, durant laquelle elle avait grandit au sein d'une organisation militaire. Au lieu se poser des questions, Dextra avait immédiatement attrapé ses armes, son armure et s'était prestement rendu à son poste, que sa HOPEWatch lui avait fortuitement indiqué.
La femme au visage lacéré avait déjà vécu tout cela. Les encouragements des leaders. La tension sur les épaules des bleus. L'assurance mal placée des vétérans. Ces souvenirs, qui revenaient à Dextra par flash alors qu'elle écoutait d'un air distrait le discours du Général, n'étaient pas dénués de douleur, loin de là. Elle avait eu son lot de sacrifices et de pertes, autrefois. Mais au moins, c'était quelque chose de familier. Un terrain familier, qui lui procurait une certaine confiance. Elle se sentait, pour la première fois depuis longtemps, à sa place.
Le calme avec lequel Dextra abordait la situation était cependant troublé par une pointe de gêne : de ce qu'il se passait, la Recrue ne comprenait pas tout. Elle avait beau être arrivée sur HOPE depuis plus d'un mois à présent, sa période d'apprentissage et d'adaptation était loin d'être terminée. Son caractère curieux avait aidé : elle avait dévoré les ouvrages explicatifs sur HOPE, sa technologie, son histoire... Même si certaines spécificités lui échappaient encore, elle pensait avoir saisi beaucoup de choses. Cependant, et elle ne le réalisait que maintenant, la guerrière ne s'était concentré que sur le monde à l'intérieur de la station. Ce qui se trouvait dehors? L'espace? Ce n'était qu'un concept encore très vague pour Dextra. Son monde essentiellement souterrain n'avait pas vraiment donné le loisir à son espèce d'imaginer ce qui se trouvait derrière les étoiles. C'était à peine si elle savait, parce qu'on lui avait expliqué, qu'il était impossible pour la plupart des espèces s'y respirer et survivre sans aide technologique.
Et visiblement c'était là que leur mission allait se dérouler. Bien évidemment.
Autour d'elle, les autres Agents et Recrues étaient en train de se disperser suivant l'ordre de leur Général. Ignorant l'agitation autour d'elle, Dextra commença à se diriger dans la direction que sa HOPEWatch lui indiquait, tout en affichant devant elle un écran holographique avec les détails de leur mission. Visiblement, un amas de créatures nommés "météores pulsinars" se dirigeaient vers la station. C'était eux qui provoquaient les multiples pannes de matériel que même la Recrue avait remarqué, au cours de ces dernières semaines. Il fallait les éliminer avant qu'ils n'atteignent la station. Rien de bien complexe, à première vue. Cependant, Dextra fut surpris de ne voir aucune fiche détaillant la morphologie et l'apparence de ces météores. Pourquoi HOPE priverait ses agents d'informations aussi importantes sur leurs cibles? Intriguée, la femme à la longue tresse rouge et blanche fit apparaître la silhouette encapée de la petite créature à masque blanc qui lui servait d'IA.
« Ooma? »
« Oui, Recrue Dextra? Avez-vous une question concernant cette mission? »
« C'est quoi... un météore? »
« ... »
« Comment on le tue? »
« ... »
« Ooma. »
« Je... Je pense qu'il vaut mieux que vous constatiez par vous-même. »
Dextra fronça les sourcils. C'était la première fois qu'elle voyait son IA aussi désemparée. Le caractère d'Ooma n'avait bien sur par le passé pas manqué de la faire tourner en bourrique en exploitant son manque de connaissance sur HOPE. Cependant, cette fois, malgré le peu d'expression sur son masque blanc, il était clair que sa consternation était réelle.
Un instant plus tard, une vidéo apparaissait sur l'écran holographique, montrant une nuée de rochers dériver dans l'espace à assez grande vitesse. Certains se fracassaient les uns sur les autres, éclatant en une multitude de fragments. C'était assez impressionnant. Dextra observa la vidéo avec attention, semblant chercher quelque chose à l'intérieur, mais sans le trouver. Finalement, fronçant ses sourcils, elle s'adressa à Ooma sur un ton agacé.
« Comprends pas. C'est des rochers. Flottants. Où sont... Météores? »
« ... Recrue Dextra, je me lancerais bien volontiers dans une explication détaillée des phénomènes cosmiques de l'univers pour répondre à vos questions. Vraiment. Mais nous n'avons pas le temps pour ça. Le hangar de votre vaisseau est le suivant. Et très honnêtement je ne suis pas assez payé pour ça. Voir pas du tout... »
Effectivement. En avançant le nez plongé dans sa HOPEWatch, Dextra avait presque manqué sa destination. Devant la baie vitré du hangar se trouvaient par ailleurs deux silhouettes connues de la Recrue. La grande silhouette caparaçonnée de Yagleadra et celle, plus petite, d'Oly, qui pour une fois ne portait pas sa blouse. Les sentiments de Dextra étaient encore parfois mitigés les concernant : elle ressentait encore de la peine et de la honte pour les dommages et les problèmes qu'elle leur avait causé, chaque regard posé sur Oly lui rappelant qu'elle l'avait blessé en perdant le contrôle de sa prothèse. Mais elle avait développé par ailleurs un lien de camaraderie assez profond avec Yag au cours de ses précédentes visites effectuées dans le but de présenter ses excuses. Les deux étrangères s'étaient trouvé plusieurs points communs, et avaient de toute manière échangé des échos de leurs passés d'une par une méthode tellement directe qu'elle en dépassait le simple concept de "confidences".
Surpassant néanmoins ces deux sentiments qui s'opposaient alors qu'elle posait les yeux sur les deux femmes, Dextra était avant toute chose rassurée de voir des visages connus avant de faire son grand saut dans l'inconnu. Lors des batailles de son ancienne vie, elle avait toujours été entourée de ses "Sœurs". Avoir quelqu'un qu'elle pouvait pleinement considérer comme une camarade à ses côtés la remettait à l'aise, après toute cette histoire de météores. Avec un léger sourire, Dextra répondit à la salutation de Yagleadra en levant la main. Lorsqu'elle se furent rapprochées, la polymorphe lui demanda son avis sur la mission qui leur incombait. La Recrue sembla hésitante un bref instant, avant d'adresser un sourire rassurant à Yag. Ces petits encouragements adressés la veille d'un combat, elle en avait déjà servis des centaines. Rassurer ses camarades était toujours primordial avant de prendre les armes. Même si le dénouement et les décisions de la Faucheuse la faisaient parfois cruellement mentir, il fallait s'assurer de voir partir les Sœurs avec le sourire. C'était l'un des enseignement de son Ordre.
« Yag. Je sais pas... 'Connais pas ces... "Météores". Mais ce que je sais... C'est que toute créature a une faiblesse. Ici, pareil. On est pas seules. On trouvera... Solutions. On reviendra. Vivantes. »
Tout en disant cela, Dextra avait posé sa main de chair sur l'un des avant-bras de Yag. Cela aurait pu être rassurant et efficace, comme elle l'espérait... Si son assomption de ce qu'était un météore n'avait pas autant été en décalage avec la réalité, anéantissant toute sa crédibilité.
Pendant un bref instant, un soupir de résignation sembla s'échapper de la HOPEWatch de Dextra. Celle-ci ne le remarqua pas.
Dépassant Yag en l'accompagnant vers l'entrée du hangar, Dextra leva également la main pour saluer Oly lorsqu'elle arriva à sa hauteur. La Recrue sembla ouvrir la bouche pour dire quelque chose, mais finit par s'abstenir. Il lui était plus facile de parler à Yag qu'à sa gardienne. Des progrès avaient été fait, mais il faudrait tout de même un peu plus de temps pour que la femme-requin la supporte.
Arrivant devant l'entrée du hangar, le numéro du vaisseau qui leur avait été attribué s'afficha sur leur HOPEWatch. Observant le numéro de son seul œil valide, Dextra reconnu le même sur un croiser à deux rangs de l'entrée principale du Hangar. Tournant la tête vers ses deux camarades, Dextra constata que le vaisseau qui leur avait été attribué avait un numéro identique au sien. Comme pour confirmer l'évidence, la Recrue s'adressa à elles.
« Même vaisseau? Bien. Ensemble c'est plus... Sur. »
L'équipage s'approcha du vaisseau, qui, alors que les trois femmes avançaient, se révélait être plus grand que ce que Dextra avait pensé de prime abord. Une passerelle avait été installée pour permettre d'accéder à l'intérieur, et plusieurs droïdes de maintenance étaient en train d'achever les derniers préparatifs. N'étant pas vraiment à l'aise avec la technologie de HOPE, trop éloignée de la sienne, la Recrue laissa ses camarades monter les premières.
Une fois à l'intérieur, Dextra accrocha sur le repose-arme près du sas le fusil lourd à répétition qu'elle avait jusque-là porté dans son dos, ainsi que plusieurs sacoches et chargeurs qu'elle portait sur elle. N'étant pas vraiment sure par quoi commencer, la femme au visage scarifié observa les premières salles et entrepris d'ouvrir les différents compartiments pour observer ce qui s'y trouvaient, et dresser une sorte d'inventaire. Il y avait des combinaisons, des outils, des bandages et médicaments... Alors que sa HOPEWatch détaillait les caractéristiques de chacun des objets sous son œil, Dextra nota que certains d'entre eux dépassaient d'assez loin son niveau d'expertise avec la technologie de HOPE, alors que d'autres au contraire n'avaient à son sens pas grand chose à faire là. Cela faisant beaucoup d'espace gâché pour rien...
Se décidant à rejoindre les autres dans le poste de pilotage du vaisseau, la guerrière écarquilla quelque peu son œil émeraude devant le nombre de boutons, écrans et commandes autour des sièges. Avec un brin d'hésitation dans la voix, Dextra posa la question fatidique à la personne la plus expérimentée du groupe.
« Oly... Tu sais comment ça marche? »